Initiative La Ceinture et la Route : dix ans plus tard, une préférence pour les projets « petits, mais beaux »

mountain road in China

En 2023, l’ambitieuse et controversée initiative La Ceinture et la Route a célébré son 10e anniversaire. Depuis qu’il a été lancé, ce vaste programme mondial d’infrastructure et de politique étrangère, dirigé par Pékin et visant à relier l’Eurasie, l’Afrique et même l’Amérique latine, a subi d’importants changements. Lors de sa création, l’initiative La Ceinture et la Route visait notamment à combler un grave déficit de financement des grands projets d’infrastructures dans les pays à faible revenu. Une décennie plus tard, les nouveaux projets mis en œuvre dans le cadre de l’initiative La Ceinture et la Route sont plutôt de moins grande envergure et axés sur certains secteurs (p. ex. énergie et technologie) ainsi que certaines zones géographiques (p. ex. économies à revenu intermédiaire) plus économiquement lucratifs.

Alors que Pékin s’apprête à lancer cette nouvelle approche d’investissement (connue sous le nom du modèle « petit, mais beau »), l’échelle, le schéma de financement, les principaux acteurs et l’orientation géographique de l’initiative La Ceinture et la Route évolueront avec elle. Quels moyens de pression ont poussé Pékin à repenser le programme La Ceinture et la Route, et qu’est-ce que la Chine souhaite accomplir dans le cadre du modèle « petit, mais beau »? Maintenant que l’initiative La Ceinture et la Route a 10 ans, son mandat a été revu et amélioré (tout comme les diverses initiatives de développement que les gouvernements occidentaux ont mises en place pour y répondre). Ces changements auront vraisemblablement des répercussions sur la façon dont les pays travailleront ensemble pour atteindre les objectifs de développement durable.

Volte-face de la Chine, qui délaisse le « projet du siècle » au profit de projets « petits, mais beaux »

Véritable pièce maîtresse de la stratégie de politique étrangère du président chinois Xi Jinping, le programme La Ceinture et la Route a été élaboré principalement pour accroître les liens de la Chine avec les marchés internationaux et consolider l’influence et la position de Pékin en tant que puissance économique et géopolitique. Par l’entremise de l’initiative La Ceinture et la Route, des entreprises chinoises publiques et privées ont financé des projets d’infrastructures d’une valeur totale de 1 billion de dollars américains en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. La Chine est donc devenue le plus grand créancier du monde en matière de développement, ce qui inquiète les gouvernements occidentaux. En effet, Pékin exploitera-t-il ces dettes à des fins politiques? Des allégations de « diplomatie du piège de la dette » ont fait surface dès 2017, lorsque des débiteurs de l’initiative La Ceinture et la Route ont commencé à cesser de rembourser leurs prêts. L’incidence environnementale de l’initiative et son atteinte potentielle aux valeurs démocratiques (p. ex. transparence et droits de l’homme) ont d’autant plus terni la réputation du programme sur la scène internationale. Malgré tout, en date de décembre 2023, environ 151 pays prenaient toujours part à l’initiative La Ceinture et la Route.

Même si le programme La Ceinture et la Route fait l’objet d’importantes réactions négatives à l’échelle internationale depuis son lancement, ce n’est que lorsque la Chine a commencé à connaître des difficultés internes que les responsables ont entrepris de réévaluer la stratégie d’investissement du programme. Dès 2018, des tensions avec l’Occident donnent lieu à une liste croissante de restrictions en matière de commerce et d’investissement envers la Chine, ce qui a paralysé certaines de ses industries en plein essor. Les politiques économiques controversées adoptées par le gouvernement central, notamment une répression très médiatisée dans plusieurs domaines du secteur privé, ont d’autant plus mis à rude épreuve la confiance des investisseurs et, en 2020, la politique « zéro COVID » de Pékin a interrompu pratiquement toute l’activité économique du pays.

Aujourd’hui, pour la première fois depuis 1998 (le début de l’enregistrement des données), la Chine est confrontée à une sortie nette d’investissements directs étrangers. En combinant le tout à une terne reprise économique post-pandémie, à une crise immobilière persistante, à une dette locale croissante et à d’autres pressions récessionnistes, le secteur public chinois ne peut tout simplement pas faire face aux importants projets d’infrastructure qu’il a autrefois entrepris dans le cadre de l’initiative La Ceinture et la Route.

C’est pourquoi, depuis 2021, les autorités encouragent le nouveau modèle d’investissement « petit, mais beau » de l’initiative La Ceinture et la Route, veillant à ce que les nouveaux ajouts à l’initiative soient plus petits, plus écologiques et moins risqués financièrement que les engagements précédents. Idéalement, les projets devraient s’autofinancer, car ils appartiennent à des secteurs plus rentables et évolutifs, notamment ceux de la technologie, de l’énergie et des soins de santé. Pour procéder à cette transition, le gouvernement central chinois ainsi que ses entreprises publiques encouragent de plus en plus le secteur privé, qui est moins souvent à court de liquidités (p. ex. CATL et Alibaba), ainsi que les gouvernements locaux (p. ex. les gouvernements provinciaux et les régions administratives spéciales comme Hong Kong), à jouer un rôle financier plus important. Enfin, si les régions à faible revenu continuent de recevoir la majorité du financement de l’initiative La Ceinture et la Route, les pays à revenu intermédiaire, comme l’Arabie saoudite et l’Indonésie, figurent de plus en plus parmi les plus grands bénéficiaires des investissements chinois.

Le slogan « petit, mais beau » en action

L’engagement accru de la Chine dans les États arabes du Golfe illustre le passage de l’initiative La Ceinture et la Route vers le concept « petit, mais beau » et met en évidence ce que Pékin pourrait espérer obtenir en travaillant plus étroitement avec les économies à revenu intermédiaire et supérieur. Le Bahreïn, le Koweït, l’Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) disposent d’importants fonds souverains et sont caractérisés par une forte demande en énergie et en technologie, ce qui en fait des marchés lucratifs pour les entreprises chinoises.

À mesure que le monde délaisse les combustibles fossiles au profit de solutions de rechange à faibles émissions de carbone, les pays du Golfe producteurs de pétrole cherchent à renforcer leur résilience économique, à diversifier leurs marchés et à renforcer leur compétitivité mondiale globale. Pour ce faire, leurs gouvernements ont mis de l’avant deux objectifs : mener une transformation numérique pour aider leurs économies à se diversifier au-delà des combustibles fossiles et investir dans les énergies renouvelables.

Depuis quelques années, les entreprises chinoises tirent parti des objectifs de développement des pays du Golfe. Sur le plan de la numérisation, la « championne nationale » Huawei, qui a contribué à jeter les bases du réseau 5G en Arabie saoudite, a travaillé avec des partenaires éducatifs locaux pour offrir une formation numérique ainsi que des programmes d’accréditation aux citoyens saoudiens, démontrant ainsi que les entreprises chinoises ne font pas que mettre au point des technologies de pointe, mais possèdent aussi des compétences en mise à l’échelle et en commercialisation. En mars 2023, Huawei et l’entreprise de télécommunications Zain KSA se sont entendues pour lancer ensemble une « ville 5,5G » de nouvelle génération, renforçant du même coup leur partenariat bilatéral.

De la même manière, le géant chinois de l’énergie solaire GCL Technology envisage de construire sa première usine à l’étranger en Arabie saoudite. L’Arabie saoudite espère que sa « forte demande en énergies renouvelables » attirera des partenaires chinois qui pourront y diffuser leurs connaissances, ce qui permettra éventuellement au royaume de reproduire la compétitivité des coûts de la Chine et de développer sa propre assise manufacturière. Selon le fonds souverain saoudien, le pays souhaite devenir l’un des rares pays autres que la Chine à disposer d’une chaîne de valeur solaire complète.

Pour les entreprises chinoises, les pays du Golfe constituent de nouveaux marchés qui attirent des investissements non occidentaux. Les responsables du projet de développement urbain saoudien NEOM, qui visait à élaborer une infrastructure pour les véhicules autonomes, ont choisi de travailler avec la jeune entreprise chinoise Pony.ai. Les deux parties sont parvenues à une entente en octobre 2023, grâce à laquelle Pony.ai a obtenu un investissement de 100 millions de dollars américains de la part de la division financière de NEOM. L’entente comprend la mise sur pied d’une coentreprise pour concevoir, fabriquer et exploiter des taxis autonomes partout au Moyen-Orient.

Les tensions commerciales croissantes avec les États-Unis et l’Union européenne dans le secteur de l’énergie verte poussent également les entreprises chinoises à rechercher de nouveaux marchés. En 2023, la Chine dominait la production mondiale de panneaux solaires et de véhicules électriques, et l’énergie propre était son principal moteur de croissance économique. Grâce à sa croissance annuelle de 40 %, le secteur a contribué à maintenir l’économie à flot alors que d’autres secteurs, comme celui de l’immobilier, se contractaient. Toutefois, comme la Chine compte un très grand nombre de producteurs qui rivalisent pour répondre à la demande nationale limitée, les entreprises d’énergie propre doivent de plus en plus vendre leurs produits à l’étranger, de peur de sursaturer le marché intérieur.

Enfin, comme la région du Golfe abrite des marchés de capitaux bien développés ainsi que certains des plus grands fonds souverains au monde, il y a lieu de penser que Pékin espère que les investissements arabes réciproques réalisés en Chine permettront d’injecter des capitaux étrangers indispensables à l’économie chinoise stagnante. En effet, les fonds souverains d’Arabie saoudite et des EAU auraient investi 2,3 milliards de dollars américains en Chine en 2023, contre 100 millions en 2022.

La réponse de l’Occident à l’expansion de l’initiative La Ceinture et la Route

Bien que la Chine cherche à entreprendre des projets « petits, mais beaux » principalement dans le golfe Persique, elle déploie également cette nouvelle stratégie d’investissement dans d’autres régions et économies à revenu intermédiaire. Par exemple, lors de la visite d’État du président angolais João Lourenço à Pékin en mars 2024, Xi s’est engagé à aider l’Angola, riche en pétrole, à « parvenir à une modernisation agricole, à l’industrialisation et à la diversification économique » en étendant la relation d’investissement bilatérale au-delà des combustibles fossiles et dans des secteurs comme l’exploitation minière, l’agriculture et le secteur manufacturier. De la même manière, le partenariat d’investissement de la Chine avec l’Indonésie, l’un des principaux bénéficiaires du programme La Ceinture et la Route, s’étend désormais au-delà des infrastructures et comprend des secteurs comme ceux de la finance, de l’exploitation minière, de l’énergie propre et la technologie numérique.

Alors que Pékin s’affaire à cultiver des liens plus étroits avec les pays du Sud par l’intermédiaire de l’initiative La Ceinture et la Route (ce qui suscite des inquiétudes quant à un éventuel ordre mondial dirigé par la Chine), l’Occident reconnaît la nécessité de répondre par ses propres initiatives de développement mondial. Le concurrent le plus important de l’initiative La Ceinture et la Route est le Partenariat mondial du G7 pour les infrastructures et les investissements, une initiative de 600 millions de dollars américains lancée en 2022 et visant à financer des « infrastructures de haute qualité » dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Certains observateurs ont qualifié le Partenariat mondial pour les infrastructures et les investissements de « réponse occidentale » au programme La Ceinture et la Route, notamment en ce qui concerne son accent semblable sur l’énergie propre, la connectivité numérique et la santé. Tout comme le modèle « petit, mais beau » de l’initiative La Ceinture et la Route, le Partenariat mondial pour les infrastructures et les investissements cherche à obtenir des capitaux privés pour financer ses projets.

Cependant, les répercussions à long terme du Partenariat mondial pour les infrastructures et les investissements demeurent incertaines. Le Politico, par exemple, a remarqué que la Chine peut se fier à ses entreprises publiques pour investir par l’intermédiaire de l’initiative La Ceinture et la Route, tandis que les gouvernements occidentaux doivent s’appuyer sur les incitatifs du marché pour encourager les entreprises privées à s’engager auprès des pays en développement, ce qui pourrait s’avérer difficile considérant que les entreprises occidentales ne sont pas confrontées aux mêmes défis économiques et géopolitiques (p. ex. sanctions et surcapacités) qui ont poussé les entreprises chinoises à se tourner vers de nouveaux marchés et investisseurs.

De plus, certains pays du G7 ont choisi de réduire leurs investissements dans leurs capacités diplomatiques. Affaires mondiales Canada, par exemple, a annoncé des réductions budgétaires majeures au cours des trois prochains exercices financiers. Et, surtout, une éventuelle seconde administration Trump pourrait raviver la politique isolationniste des États-Unis. Ces deux évolutions possibles soulèveraient de graves questions quant à la capacité des initiatives de politique étrangère ambitieuses, telles que le Partenariat mondial pour les infrastructures et les investissements, à résister à l’épreuve du temps.

Il n’en reste pas moins que l’émergence de nouveaux concurrents à l’initiative La Ceinture et la Route, qui visait elle-même à concurrencer le FMI et la Banque mondiale, est un signe positif pour le développement durable. Alors que la Chine et l’Occident rivalisent pour déterminer qui peut fournir le programme d’investissement le plus compétitif, les pays en développement ont accès à davantage d’options pour combler leurs besoins pressants en matière d’investissements dans les infrastructures, de transferts de technologies et de financement climatique.

Chloe Yeung

Chloe Yeung est chercheuse-boursière au sein de l’équipe de la Grande Chine de la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'une maîtrise en affaires mondiales de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto et d'un baccalauréat ès arts et sciences de l'University College London (UCL). Ses intérêts de recherche comprennent les relations Canada-Chine, le commerce et le développement durables et l'égalité des sexes.

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