Conclusions principales :
Le 2 avril, juste avant l’annonce de nouveaux tarifs généralisés touchant tous les pays du monde, la visite du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à Moscou, s’est achevée. Il s’est entretenu avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, ainsi qu’avec le président russe, Vladimir Poutine. Les deux parties ont discuté de la guerre russo-ukrainienne et d’autres sujets d’ordre sécuritaire, tels que le programme nucléaire iranien et la péninsule coréenne. Le fond et la forme des déclarations des deux pays remettent en question la capacité du président Trump à semer la discorde entre la Chine et la Russie, et laissent penser qu’il surestime les chances de succès de la « stratégie Kissinger inversée », qui vise à affaiblir la Chine géopolitiquement en attirant la Russie hors de l’orbite de Beijing.
In Brief
- La visite de Wang représente l’engagement au plus haut niveau entre Beijing et Moscou depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, marquant le début d’efforts de rapprochement entre les États-Unis et la Russie. L’objectif principal de la visite de Wang serait de mettre au point l’ordre du jour du sommet prévu en mai entre les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping.
- Dans le communiqué publié sur le site web du ministère chinois des Affaires étrangères à la suite de la visite, Wang a cité trois objectifs majeurs pour les relations sino-russes :
- Renforcer la coopération en matière d’économie et d’énergie.
- Partager l’innovation et approfondir l’intégration industrielle.
- Stimuler l’économie mondiale, notamment en créant des synergies entre les initiatives « Nouvelle Route de la soie » de la Chine et « Union économique eurasiatique » de la Russie, et en collaborant pour stabiliser les chaînes d’approvisionnement industrielles mondiales.strengthening economic and energy co-operation;
- Wang a également réitéré la volonté de la Chine de jouer un rôle dans la résolution de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ajoutant que tout accord de paix devrait être contraignant et acceptable pour les parties concernées. Beijing a rappelé à maintes reprises son offre de médiation à la Russie depuis que celle-ci a lancé son invasion à grande échelle en février 2022. Cependant, l’offre a été reçue avec scepticisme à Kyiv et dans d’autres capitales européennes en raison des liens étroits entre la Chine et la Russie.
Implications :
Le scénario de la « stratégie Kissinger inversée » est voué à l’échec fondement même est défaillant. Au début des années 1970, Henry Kissinger, alors conseiller à la sécurité nationale, et le président américain Richard Nixon ont réussi à exploiter l’animosité et les soupçons réciproques entre Beijing et Moscou pour éloigner les deux pays. Aujourd’hui, les relations entre la Russie et la Chine sont solides et se renforcent de plus en plus, y compris dans la région indo-pacifique. Par exemple, en 2024, leurs forces militaires ont massivement mené des exercices maritimes et aériens sur une vaste zone du Pacifique Nord. De plus, la Russie, qui devient de plus en plus active en Asie du Sud-Est sur les questions économiques et de sécurité, a exprimé son soutien à la position de la Chine sur les différends régionaux litigieux impliquant la Chine, tels que Taïwan et la mer de Chine méridionale.
Sous le mandat du président Biden, l’amitié sans limites qu’entretenait la Chine avec la Russie était un sujet de tension entre les États-Unis et la Chine. Des politiques américaines plus tolérantes envers la Russie élimineraient cette source de tension. En réalité, une amélioration des relations entre les États-Unis et la Russie donnerait plus de marge de manœuvre à la Chine pour exercer son influence diplomatique. Wang Yi a d’ailleurs appuyé cette conviction, affirmant que la Chine soutiendrait la normalisation des relations entre les États-Unis et la Russie, car cela pourrait contribuer à stabiliser l’équilibre entre les grandes puissances mondiales.
L’amitié indéfectible entre la Chine et la Russie pourrait compliquer l’offensive de charme chinoise en Europe. Depuis des mois, la Chine essaie de séduire l’Europe en prévision d’une guerre commerciale américaine. D’une part, une guerre commerciale de grande envergure a été déclenchée par les nouveaux droits de douane de Trump : 20 % sur l’UE et, en date du 9 avril, 104 % (en plus d’autres) sur les exportations chinoises. Comme ces deux marchés cherchent de nouveaux clients pour leurs produits, ils se retrouveront naturellement. L’Europe représente le deuxième marché de consommation après les États-Unis, suivie par la Chine en troisième position.
D’autre part, la tentative de la Chine de séduire l’Europe pourrait susciter des réticences. Maros Sefcovic, commissaire européen au Commerce et à la Sécurité économique, a souligné que les flux d’investissements et de commerce entre les deux parties devront être symétriques, ce qui semble improbable si la Chine continue d’utiliser sa stratégie de pression économique consistant à inonder les marchés avec ses produits d’exportation. De plus, la question de l’Ukraine, en particulier le soutien de la Chine aux efforts de guerre russes, pourrait ne pas être facilement dissociée des affaires purement commerciales pour plusieurs dirigeants européens.
Ce qui s'ensuit
1. Les relations entre la Chine et la Russie sont prêtes à bénéficier d’un nouvel élan avec la visite prévue de Xi
La visite du président Xi en Russie est prévue le 9 mai, durant les festivités de la Journée de la Victoire en Russie, où le pays commémore la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Xi sera l’invité d’honneur à un moment où l’opinion favorable des États-Unis est en dégringolade. Xi et Poutine pourraient profiter de cette situation pour renforcer leurs appels aux alliés des États-Unis et aux pays membres du Sud, qui n’ont pas été épargnés par la vague de droits de douane.
2. Un rôle pour le Canada et une présence de la Chine en Ukraine pour le maintien de la paix
Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine semble sans fin, certains dirigeants européens parlent déjà d’une coalition de bonne volonté d’après-guerre, à laquelle le Canada pourrait participer. Au cours des derniers mois, la possibilité que la Chine participe à une telle mission a été évoquée, notamment par le vice-président des États-Unis, JD Vance, lors d’un forum de haut niveau. La raison invoquée est que la Russie refuserait que les membres de l’OTAN s’engagent dans une telle mission, mais ne s’opposerait pas à l’initiative si les membres n’étaient pas des pays occidentaux.
Cependant, en mars dernier, la Chine a nié qu’elle puisse envisager d’occuper un tel rôle. Comme l’a souligné un analyste chinois, la Chine ne souhaiterait pas être impliquée militairement dans ce que la Russie appelle incontestablement sa sphère d’influence. Bien que Kyiv ait très peu confiance en Beijing en raison des multiples facettes que présente la Chine dans la guerre de Poutine, l’Ukraine accepterait la présence de celle-ci dans le maintien de la paix si d’autres options fiables étaient également présentes.
• Édité par Ted Fraser, rédacteur en chef pour la FAP Canada.