Points importants de la discussion « Approfondir les relations entre le Canada, le Japon et les États-Unis dans la région indo-pacifique »

Canada-Japan panellists

Le 12 mars 2024, la Fondation Asie Pacifique du Canada et le Centre David Lam de l’Université Simon Fraser, avec le soutien du Consulat général du Japon à Vancouver, ont réuni un groupe d’experts pour discuter des changements rapides de la politique étrangère japonaise et des leçons et occasions qui peuvent en découler pour le Canada. Les panélistes (dans l’ordre où ils se sont exprimés) sont les suivants :

  • Kristi Govella, première directrice du Centre pour les affaires indo-pacifiques et professeure adjointe d’études asiatiques de l’Université d’Hawaï à Mānoa
  • Yves Tiberghienprofesseur en sciences politiques, directeur émérite de l’Institut de recherche asiatique et codirecteur du Centre pour la recherche sur le Japon de l’Université de la Colombie-Britannique 
  • Adam Liff, président invité du département de politique japonaise moderne et contemporaine et politique étrangère à l’École du service à l’étranger Edmund A. Walsh de l’Université de Georgetown 
  • Tsuyoshi Kawasakiprofesseur en sciences politiques de l’Université Simon Fraser

Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie, FAP Canada, a animé la discussion. Les points importants de la discussion se trouvent ci-dessous et un enregistrement vidéo de la conversation complète est disponible sur le site Web de la FAP Canada.

Le Japon dans un contexte international et régional en évolution

La politique étrangère japonaise est en train de subir une importante transformation, son engagement militaire, diplomatique et économique devenant de plus en plus solide, étendu et dynamique. Bien que ces changements soient en cours depuis des années, l’impact psychologique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 (et la possibilité qu’un événement similaire se produise en Asie de l’Est) a accéléré ce processus.

Dans sa stratégie pour l’Indo-Pacifique (SIP) de 2022, le Canada a désigné le Japon comme l’un de ses principaux partenaires dans la région. Les fondements philosophiques et les priorités de la SIP font d’ailleurs écho à la vision d’une région Indo-Pacifique libre et ouverte formulée pour la première fois par le Japon en 2016. Le Japon se félicite donc de l’engagement exprimé par le Canada de contribuer à la paix, à la sécurité et à la prospérité régionales, notamment en partenariat avec le Japon et le plus proche allié des deux pays, les États-Unis.

Qu’est-ce que la population canadienne devrait savoir au sujet des facteurs de changement dans la politique étrangère japonaise? Quelles sont les forces de son approche et de ses relations régionales, et qu’est-ce qui pourrait nuire à ses ambitions? Finalement, comment le Canada pourrait-il collaborer plus étroitement avec le Japon sur des enjeux d’intérêt mutuel ? 

Facteurs de changement dans la politique étrangère japonaise

La professeure Govella indique que le Japon est de plus en plus préoccupé par une rupture de l’ordre international. Sur le plan économique, cela comprend la hausse du populisme et du protectionnisme dans de nombreux pays. Du point de vue de la sécurité, on parle notamment de la possibilité que l’invasion de l’Ukraine par la Russie crée un dangereux précédent en Asie de l’Est, à savoir la possibilité d’une agression chinoise contre Taïwan. Le Japon s’efforce donc de renforcer les institutions qui l’ont bien servi par le passé, comme les Nations unies et l’Organisation mondiale du commerce. En même temps, le Japon reconnaît que ces institutions sont de plus en plus inadaptées pour faire face aux changements de l’environnement international et tente de combler les lacunes par des groupements mini-latéraux comme le Quad et d’autres dialogues bilatéraux et mini-latéraux. Enfin, si le Japon continue d’adhérer à une politique de sécurité exclusivement axée sur la défense, il n’en développe pas moins ses capacités de défense. Il s’est notamment engagé à porter ses dépenses de défense à un niveau sans précédent de 2 % de son produit intérieur brut (PIB) d’ici à 2027.

Le Japon tente également de trouver un équilibre entre la promotion de la connectivité économique et la sécurité nationale. Tout en considérant l’interdépendance économique comme nécessaire à sa croissance économique, le Japon reconnaît qu’une dépendance excessive à l’égard d’un seul pays le rend vulnérable à la coercition économique, indique Mme. Govella. Pour diversifier ses partenaires économiques, le Japon a signé et, dans certains cas, pris la tête de nouveaux accords économiques, notamment l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et le Partenariat économique régional global (RCEP).

Bien entendu, le Japon ne peut pas traiter ces questions seul et il est désireux de former des coalitions avec des pays aux vues similaires, dont le Canada, et de participer à ces coalitions. 

Possibilités et leçons pour le Canada

Le professeur Tiberghien a fait remarquer que l’un des obstacles auxquels le gouvernement japonais est confronté pour financer l’expansion de ses capacités de défense est l’opinion publique. Si les Japonais sont largement favorables à un dispositif de défense plus robuste, ils ne sont pas favorables à une augmentation des impôts pour atteindre le seuil de dépenses de deux pour cent. Cette situation pourrait toutefois changer en cas de crise touchant de près la population.

En ce qui concerne le Canada, le Japon est reconnaissant de l’envoi par l’armée canadienne de patrouilles maritimes dans la région, mais il préférerait que le Canada en fasse davantage. Le professeur a suggéré que le Canada prenne note du partenariat récemment renforcé entre le Japon et l’Australie. (Cet accord comprend un volet défense : l’approfondissement de la coopération opérationnelle, l’organisation d’exercices militaires conjoints et l’amélioration de l’interopérabilité.)

Le Canada peut apprendre du Japon comment établir des relations solides et fondées sur la confiance avec l’Asie du Sud-Est et l’Inde, deux partenaires essentiels à la réussite de la SIP du Canada. On a beaucoup parlé récemment de l’engagement du Canada en Asie du Sud-Est, a expliqué M. Tiberghien, mais les parties prenantes sur place souhaitent une présence plus forte sur le terrain. Elles sont également fatiguées des discours sur les « valeurs canadiennes », a-t-il ajouté. Ces observations suggèrent que le Canada devrait accroître sa présence régionale, mais en privilégiant le pragmatisme. De même, les relations entre le Japon et l’Inde sont solides. (En janvier 2024, les deux pays ont célébré le 10anniversaire de leur « partenariat stratégique spécial et global », fondé sur une série d’intérêts communs : la participation au Quad, le rôle du Japon dans la facilitation de la croissance et de la transformation économiques de l’Inde, les investissements du Japon dans la construction d’infrastructures en Inde et l’organisation d’exercices de sécurité bilatéraux). Cette relation pourrait être utile au Canada qui a grand besoin de trouver un moyen de rétablir un sentiment de normalité dans ses relations avec New Delhi, a déclaré M. Tiberghien.

Sur le plan économique, le Japon relance activement sa politique industrielle, en se concentrant sur les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, les minéraux critiques et les technologies vertes. Le gouvernement japonais a considérablement augmenté les effectifs du bureau du premier ministre, ce qui permet à ce dernier de mobiliser et d’acheminer les ressources nécessaires pour stimuler les flux de capitaux et les investissements, et de le faire rapidement. Bien qu’il y ait des risques à avoir une politique industrielle lourde et dirigée par le gouvernement, elle pourrait, en étant bien menée, rapidement induire les changements nécessaires pour stimuler les flux de capitaux et l’investissement.

Le professeur Tiberghien a également noté un changement dans l’approche du Japon à l’égard de la Chine. L’ancien premier ministre Abe Shinzô, qui a quitté ses fonctions en 2020, était un « grand équilibriste » en ce sens qu’il a été à l’origine d’un grand nombre des évolutions actuelles de la politique étrangère japonaise tout en restant impliqué auprès de la Chine sur le plan économique. Cette approche a pris fin en grande partie en 2021 avec l’arrivée du premier ministre Fumio Kishida, qui s’est rangé beaucoup plus résolument du côté du G7. S’il existe toujours une certaine implication entre le Japon et la Chine, elle est beaucoup moins proactive, a déclaré M. Tiberghien, et l’on a assisté à une vague de désinvestissements japonais en Chine. Il a suggéré que le Canada pourrait collaborer avec le Japon à l’organisation d’un dialogue entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, axé sur les relations avec la Chine et la région Indo-Pacifique au sens large.

Comprendre le manque d’empressement au Canada

Le professeur Liff a souligné qu’en raison de sa situation géographique, le Japon est souvent à l’avant-garde des efforts déployés pour trouver un équilibre entre la coopération internationale et la division, en essayant continuellement de s’adapter aux changements de l’environnement mondial. Il a ajouté que le Japon devrait poursuivre sur sa lancée. Alors que le mandat de l’actuel premier ministre Kishida pourrait ne pas se prolonger au-delà du vote pour la direction du Parti libéral démocrate (PLD) en septembre, les autres membres du PLD en lice pour reprendre le poste maintiendront certainement l’approche de M. Kishida.

M. Liff a également soulevé la question de savoir si le Canada partageait le sentiment d’urgence du Japon concernant l’évolution de la situation dans la région Indo-Pacifique. Le professeur Kawasaki a répondu que le Canada ne semble pas le partager. En fait, a-t-il ajouté, le Canada a du mal à trouver sa place dans la région Indo-Pacifique et sa politique actuelle est principalement motivée par la volonté de ne pas être exclu. Ce manque d’empressement fait qu’il est difficile pour le Canada de mobiliser les ressources dont il aurait besoin pour renforcer son attractivité et sa fiabilité en tant que partenaire régional, a déclaré M. Kawasaki. Il a ajouté que si le Canada n’était pas prêt contribuer aux efforts de front en cas de menace grave pour la sécurité régionale, il pourrait fournir un soutien en aval, comme l’échange de renseignements, la cybersécurité, la coordination en coulisses, la sensibilisation à la situation maritime ou l’aide à l’élaboration de plans d’urgence.

Vina Nadjibulla a demandé aux panélistes de commenter ce qui semblait le plus « faisable » pour la coopération entre le Canada et le Japon, en particulier dans le contexte de leurs commentaires sur le manque d’empressement et les limites du Canada.

  • Un consensus s’est dégagé sur le fait que le Canada est loin de ressentir le même sentiment d’urgence qu’au Japon, même si cela n’est pas nécessairement propre au Canada. Selon les panélistes, Ottawa semble souvent fonctionner en mode automatique, se concentrant davantage sur la politique intérieure et n’étant pas suffisamment attentif à la réflexion stratégique à long terme qui nécessite de la prévoyance et une reconnaissance des changements fondamentaux qui se produisent au niveau international.
  • Ce manque d’empressement se reflète dans le budget de la défense du Canada, qui diminuera au lieu d’augmenter. Il ne s’agit pas d’avoir une SIP trop militarisée; toutefois, le renforcement de ses capacités de défense donnerait au Canada davantage d’options pour contribuer de manière significative à la paix et à la sécurité de la région. Le Canada doit s’attendre à ce que Washington exerce une pression beaucoup plus forte sur lui pour qu’il fournisse des moyens militaires et ne devienne pas un « poids mort » au sein de l’alliance, ont affirmé les panélistes. Le Canada pourrait agir plus facilement dans l’Indo-Pacifique et en Arctique.
  • Le Canada pourrait s’associer au Japon pour organiser un sommet diplomatique informel entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux qui mobiliserait plusieurs administrations et acteurs clés, et inclurait éventuellement des intervenants européens. Ce sommet pourrait se concentrer sur la gestion des relations avec l’Inde et la Chine, deux poids lourds régionaux avec lesquels les relations bilatérales du Canada sont actuellement très mauvaises. Un sommet inaugural pourrait être organisé dès l’année prochaine. 
  • Le Canada pourrait se concentrer sur les activités soutenant la sécurité économique et la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, en 2024, il préside la Commission du PTPGP et pourrait faciliter l’adhésion de Taïwan à cet organe. Le Japon a soutenu vocalement cette idée. 

Tae Yeon Eom

En tant que chercheur à la Fondation Asie-Pacifique du Canada, Tae Yeon Eom examine les problèmes socio-économiques et politiques sur et autour de la péninsule coréenne, explorant comment ces dynamiques influencent les politiques nationales, la sécurité régionale et les relations internationales. En intégrant ces perspectives, son travail vise à fournir une compréhension globale des défis et des opportunités en Asie de l'Est aux lecteurs canadiens et internationaux.

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Erin Williams

Erin est gestionnaire principale de programme à la Fondation Asie Pacifique du Canada, où elle supervise les programmes liés aux compétences et à l’éducation sur l’Asie et dirige le programme de développement des Jeunes professionnels Canada-Asie de la Fondation. 

Avant de rejoindre la FAP Canada, Erin a contribué au Comité des membres canadiens du Conseil de coopération pour la sécurité dans l’Asie-Pacifique (CSCAP), un dialogue régional sur la sécurité dans le cadre du deuxième front. À ce titre, elle a participé à deux groupes d’étude coprésidés par le Canada : l’un sur le maintien et la consolidation de la paix au niveau régional, l’autre sur la responsabilité de protéger. Elle a également été corédactrice (avec Brian Job) de la publication phare annuelle du CSCAP, The CSCAP Regional Security Outlook. Erin a travaillé comme adjointe à la rédaction de Pacific Affairs et dans le domaine de l’éducation des immigrants et des réfugiés dans le Minnesota et en Californie.

Erin est titulaire d’une maîtrise en études politiques Asie-Pacifique de la University of British Columbia et d’une maîtrise en relations internationales de la Boston University.

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