Que devrait suivre le Canada dans l’Indo-Pacifique en 2024 ?

French keystone

2024 sera une année importante pour l’Asie. Les citoyens asiatiques seront plus nombreux que partout ailleurs dans le monde à élire leurs dirigeants. Des élections auront lieu en Inde, en Indonésie, à Taïwan, au Bangladesh, au Pakistan, en Corée du Sud et au Sri Lanka. Si l’année 2023 s’est achevée sur une note légèrement positive pour les relations entre les États-Unis et la Chine, à la suite du sommet Xi-Biden à San Francisco, des questions subsistent : ces améliorations fragiles pourront-elles se maintenir en 2024, ou les tensions s’intensifieront-elles à nouveau à la suite des élections à Taïwan et sur fond d’élections présidentielles aux États-Unis ? Les opportunités et les défis économiques pour l’Asie sont également mis en exergue. La région dans son ensemble devrait enregistrer une croissance supérieure à celle de l’économie mondiale. Toutefois, les incertitudes et le scepticisme quant à l’avenir de l’économie chinoise vont persister, compte tenu des défis structurels liés à la dette, à la démographie, à la demande et à la poursuite du réalignement des chaînes d’approvisionnement sur les lignes géopolitiques. Enfin, les développements dans la région doivent être considérés dans le contexte des guerres en Europe et au Moyen-Orient. Ces guerres continueront de préoccuper les responsables politiques à Ottawa et dans d’autres capitales en 2024, malgré la volonté d’approfondir l’engagement dans la région indo-pacifique.

Voici 10 questions que la FAP Canada suivra de très près cette année dans la région indo-pacifique.

#1 Les grandes démocraties asiatiques résisteront-elles à l’épreuve des élections nationales ?

Polling Station Graphic
Photo: Getty Images

En 2024, les électeurs de plusieurs des plus grandes démocraties d’Asie voteront pour donner un nouveau mandat à leurs dirigeants et/ou partis en place ou pour apporter des changements radicaux à leurs gouvernements élus.   

Les élections du 13 janvier à Taïwan, qui ont donné la victoire à Lai Ching-te, vice-président du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir, ont constitué le plus gros coup de théâtre géopolitique de la région. Pékin n’a jamais caché son hostilité à l’égard de Lai et sa profonde méfiance à l’égard de ses intentions concernant l’indépendance vis-à-vis de la Chine, et la déclaration postélectorale de Lai en faveur du statu quo n’atténuera pas l’ire du gouvernement chinois.

En outre, même si la ligne dure adoptée par Pékin sous la forme d’avertissements à peine voilés adressés à la population taïwanaise semble s’être retournée contre elle, le président chinois Xi Jinping n’est pas prêt de relâcher la pression. Certains craignent même que la situation ne s’aggrave.

La démocratie au Bangladesh, qui a organisé des élections générales le 7 janvier, était menacée avant même le premier vote. Au cours des derniers mois, la Ligue Awami au pouvoir a arrêté des milliers de membres de l’opposition. Le boycott des élections par l’opposition a ouvert la voie à un quatrième mandat de la Ligue Awami et à d’autres actions gouvernementales susceptibles d’éroder les libertés démocratiques telles que la liberté d’expression et de réunion.

Lorsque la saison des élections débutera en Inde en avril, le Bharatiya Janata Party (BJP) et son chef, le Premier ministre indien Narendra Modi, seront pratiquement assurés d’un nouveau mandat.

Sur le plan international, l’Inde a bénéficié des critiques positives de ceux qui encouragent son émergence en tant que contrepoids à la Chine. Sur le plan intérieur, Modi reste plus populaire que jamais ; un sondage réalisé par Pew Research en 2023 a montré que près de 80 % des Indiens ont une opinion favorable de ce premier ministre qui a effectué deux mandats. Toutefois, ses détracteurs affirment qu’il a présidé à « une consolidation sans précédent du pouvoir, muselant les médias critiques, érodant l’indépendance du pouvoir judiciaire et .  . . utilisant des agences gouvernementales pour poursuivre et emprisonner les opposants politiques ».

Deux autres pays d’Asie du Sud — le Pakistan et le Sri Lanka — devraient organiser des élections cette année tout en essayant de stabiliser leur économie. Le Pakistan est en proie à des troubles politiques depuis l’éviction de l’ancien premier ministre Imran Khan en 2022. En mai, Khan a été arrêté pour corruption, mais la Cour suprême du pays a rapidement jugé l’arrestation illégale. Il a été arrêté à nouveau en septembre, ce qui a encore enflammé ses partisans. En effet, malgré son passé antidémocratique, Khan reste l’homme politique le plus populaire du pays. Beaucoup de ces partisans croient, non sans raison, que le puissant establishment militaire fera tout ce qu’il faut pour empêcher Khan et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), d’accéder au pouvoir. Des milliers de partisans du PTI ont notamment été arrêtés et les libertés d’expression et d’information ont été restreintes.

En Indonésie, Prabowo Subianto, le ministre de la Défense du pays, a choisi le fils de Jokowi, Gibran Rakabuming Raka, comme colistier. Ce choix peut profiter à Prabowo, compte tenu de la popularité du président sortant. Mais il n’a pas contribué à renforcer l’image démocratique du pays, ce qui soulève la question de savoir si l’Indonésie suit le chemin bien tracé de l’Asie du Sud-Est, où la politique est une affaire de famille.

Graph of elections in Asia in 2024

#2 À quoi ressemblera la nouvelle « nouvelle normalité » de l’économie chinoise ?

Factory floor in China
Photo : Getty Images via Glsun Mall

Après des décennies de croissance rapide, l’économie chinoise ralentit et est en proie à de graves difficultés. Un assortiment de titres de l’année écoulée en dit long : L’agence de notation Moody’s a revu à la baisse ses perspectives de crédit pour la Chine ; les investissements directs étrangers (IDE) sont devenus négatifs pour la première fois en 25 ans ; plus de 10 000 millionnaires ont quitté le pays pour des lieux plus favorables pour la deuxième année consécutive ; et le chômage des jeunes a atteint un taux sans précédent de 21 %, certains craignant que le chiffre réel ne soit deux fois plus élevé.

Les causes de ces maux sont diverses et incluent un rebond post-COVID qui n’a pas réussi à stimuler les dépenses de consommation, ainsi que des problèmes structurels d’endettement, de démographie, de réduction des risques et de demande.

Les décideurs politiques chinois ne sont pas dépourvus d’options. Des changements politiques importants sont nécessaires pour s’attaquer aux causes structurelles et cycliques du ralentissement économique. Dans son discours du Nouvel An, le président chinois Xi Jinping a indiqué que de l’aide pourrait être apportée. Toutefois, étant donné qu’il est peu probable que le président Xi relâche le contrôle de l’État sur l’économie et revienne à l’ouverture et aux politiques axées sur le marché des deux dernières décennies, il est peu probable qu’en 2024 les niveaux de confiance des investisseurs étrangers et du secteur privé chinois changent.

#3 La région parviendra-t-elle à contenir les tensions maritimes ?

Warships in the Pacific
Photo : Asael Peña via Unsplash

Depuis des années, les conflits maritimes armés dans la région indo-pacifique figurent parmi les principaux foyers de tension potentiels de la région. La tendance à l’escalade en 2023 soulève la possibilité réelle que ces conflits ne soient plus « potentiels ».

Les affrontements répétés entre Pékin et Manille au sujet des territoires de la mer de Chine méridionale, revendiqués par les deux pays, sont de plus en plus préoccupants. En 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye a statué à l’unanimité que des aspects majeurs des revendications de la Chine étaient invalides en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Elle a également conclu que les activités de la Chine, telles que la pêche illégale et la construction d’îles artificielles dans la zone économique exclusive des Philippines, constituaient une atteinte à la souveraineté de ces dernières. Néanmoins, la Chine a non seulement rejeté catégoriquement l’arrêt de la Cour, mais elle a également redoublé d’efforts dans ce domaine. En 2023, elle a harcelé à plusieurs reprises les missions philippines de réapprovisionnement d’un navire vieillissant bloqué dans le banc Second Thomas. Les Philippines ont émis des dizaines de protestations diplomatiques et ont convoqué l’ambassadeur chinois, tandis que la Chine a mis en garde les Philippines contre ce qu’elle considérerait comme de nouvelles provocations.

En tant que membre de l’UNCLOS, le Canada a réitéré son soutien ferme à la décision du Tribunal en juillet dernier, déclarant que le Canada se tient « aux côtés des Philippines et de tous les États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) pour faire respecter le droit international ». En septembre, la marine canadienne a eu plusieurs rencontres rapprochées avec des navires chinois alors que la marine canadienne menait des exercices maritimes avec les États-Unis et le Japon dans les eaux internationales. En octobre, un avion de surveillance canadien chargé d’appliquer les sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord a été intercepté par des avions de guerre chinois d’une manière « dangereuse et non professionnelle ».

Fait rare, la Chine aurait réduit ce type d’interceptions impliquant les États-Unis à la suite du sommet entre le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping. Si le sommet de novembre a également permis de rétablir les communications militaires entre la Chine et les États-Unis, il reste à voir si cette retenue sera maintenue.

#4 Les relations entre le Canada et l’Inde vont-elles se rétablir ?

PMs Trudeau and Modi shake hands
Le premier ministre indien Narendra Modi (à droite) serre la main du premier ministre canadien Justin Trudeau avant le Sommet des dirigeants du G20 à New Delhi, le 9 septembre 2023. | Photo : Evan Vucci / POOL / AFP via Getty Images

Les relations entre le Canada et l’Inde sont encore ébranlées par la déclaration du premier ministre Justin Trudeau, en septembre, selon laquelle des « agents du gouvernement indien » ont été impliqués dans le meurtre du citoyen canadien Hardeep Singh Nijjar, le 18 juin, en Colombie-Britannique. New Delhi a qualifié ces accusations « d’absurdes » et a mis M. Trudeau au défi de fournir des preuves à l’appui de ses affirmations.

Puis, en novembre, les médias américains ont révélé un complot d’assassinat déjoué à New York, qui impliquait également le gouvernement indien et semblait donner du crédit à l’affaire canadienne. En décembre, le premier ministre indien Narendra Modi a déclaré à propos de l’affaire américaine : « Si l’un de nos citoyens a fait quelque chose de bien ou de mal, nous sommes prêts à l’examiner. Nous nous engageons à respecter l’État de droit. »

Cet engagement sera mis à l’épreuve au fur et à mesure que l’enquête criminelle sur l’affaire Nijjar au Canada progressera et que de nouvelles informations seront rendues publiques. De telles preuves pourraient empêcher New Delhi d’établir une distinction entre les cas des États-Unis et du Canada. D’autre part, l’important battage médiatique fait par l’Inde autour de l’affaire Nijjar et les appels préélectoraux de Modi (voir ci-dessous) à la rhétorique nationaliste pourraient également rendre politiquement difficile pour lui et d’autres de revenir sur certaines de leurs critiques à l’égard du gouvernement canadien. Il faut donc s’attendre à une plus grande volatilité des relations au cours du premier semestre 2024. Les relations politiques et diplomatiques resteront tendues dans un avenir prévisible. Toutefois, compte tenu de l’importance économique et géostratégique croissante de l’Inde et des liens interpersonnels étroits qui unissent les deux pays, Ottawa devra tenter de remettre les relations sur les rails, au moins sur le plan économique.

#5 Le vent tournera-t-il dans la guerre civile au Myanmar ?

Rebel forces in Myanmar
Des membres du groupe armé de la minorité ethnique de l’armée de libération nationale Ta'ang montent la garde dans un temple d’un camp de colline repris à l’armée du Myanmar dans le canton de Namhsan, dans le nord de l’État Shan du Myanmar, le 13 décembre 2023. | Photo : STR/AFP via Getty Images

2024 marks the fourth year since the military seized power from the elected civilian government in a coup in Myanmar. The February 2021 coup triggered mass protests that have since coalesced into an armed resistance. This armed resistance force has recently scored some triumphs over the country’s military; in October, three ethnic armed organizations, called the Three Brotherhood Alliance, launched a surprisingly effective attack, seizing control of several military bases and border crossings. In addition, the military is grappling with defections and difficulties recruiting new members, and international sanctions have started to bite

One wildcard in the conflict’s trajectory is China. Beijing’s interest is avoiding instability along its southwestern border and cracking down on criminal activity in that area. On January 12, media reports noted that Beijing had brokered a “temporary ceasefire” between the military government and the Three Brotherhood Alliance. Some experts viewed Beijing’s earlier attempts at negotiating such ceasefires as seriously “misguided,” as it disregards the long history of failed peace initiatives in this region. As recently as December, a China-mediated ceasefire among the same groups quickly fell apart, calling into question whether this month’s agreement will have any greater staying power. 

While the military government’s collapse is by no means a foregone conclusion, its defeat would mean a gigantic step into the unknown. Resisting the military government has unified groups that are otherwise traditional adversaries. Once their common enemy is gone, a post-civil war Myanmar could be anything but peaceful, injecting further doubts into the country’s trajectory. 

Canada will be watching how the humanitarian situation in Myanmar evolves. Since 2018, it has made Myanmar a policy priority, especially through its support for the Rohingya refugees who have fled violence in western Myanmar and through its involvement in the World Court’s prosecution of the military government for alleged genocide against the Rohingya during a pre-coup phase of violence.2024 marque la quatrième année depuis que les militaires ont pris le pouvoir au détriment du gouvernement civil élu lors d’un coup d’État au Myanmar. Le coup d’État de février 2021 a déclenché des manifestations de masse qui se sont transformées en une résistance armée. Cette force de résistance armée a récemment remporté quelques victoires sur l’armée du pays ; en octobre, trois organisations armées ethniques, appelées l’Alliance des trois confréries, ont lancé une attaque étonnamment efficace, prenant ainsi le contrôle de plusieurs bases militaires et points de passage frontaliers. En outre, l’armée doit faire face à des défections et à des difficultés pour recruter de nouveaux membres, et les sanctions internationales commencent à se faire sentir.

Dans la trajectoire du conflit, la Chine fait office de joker. L’intérêt de Pékin est d’éviter l’instabilité le long de sa frontière sud-ouest et de réprimer les activités criminelles dans cette région. Le 12 janvier, les médias ont indiqué que Pékin avait négocié un « cessez-le-feu temporaire » entre le gouvernement militaire et l’Alliance des trois confréries. Certains experts considèrent que les tentatives antérieures de Pékin de négocier de tels cessez-le-feu sont gravement « malavisées », car elles ne tiennent pas compte de la longue histoire des initiatives de paix qui ont échoué dans cette région. Pas plus tard qu’en décembre, un cessez-le-feu négocié par la Chine entre les mêmes groupes s’est rapidement effondré, ce qui remet en question la capacité de l’accord de ce mois-ci à durer.

Si l’effondrement du gouvernement militaire n’est en aucun cas une fatalité, sa défaite représenterait un pas gigantesque vers l’inconnu. La résistance au gouvernement militaire a unifié des groupes qui sont par ailleurs des adversaires traditionnels. Une fois leur ennemi commun disparu, le Myanmar de l’après-guerre civile pourrait être loin d’être pacifique, ce qui susciterait de nouveaux doutes quant à la trajectoire du pays.

Le Canada suivra l’évolution de la situation humanitaire au Myanmar. Depuis 2018, il a fait du Myanmar une priorité politique, notamment en soutenant les réfugiés rohingyas qui ont fui les violences dans l’ouest du pays et en participant aux poursuites engagées par la Cour internationale de Justice contre le gouvernement militaire pour génocide présumé à l’encontre des Rohingyas lors d’une phase de violence antérieure au coup d’État.

#6 Le Canada va-t-il « institutionnaliser » son engagement dans le Pacifique Nord ?

Biden meets with PMs of Japan and South Korea
(De gauche à droite) Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol, le président américain Joe Biden et le premier ministre japonais Kishida Fumio tiennent une conférence de presse commune à l’issue des discussions tripartites à Camp David, le 18 août 2023, à Camp David, dans le Maryland. | Photo : Chip Somodevilla/Getty Images

Dans sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique (SIP) 2022, le Canada a désigné le Japon et la Corée du Sud comme des puissances régionales avec lesquelles il entrevoit des possibilités de coopération en matière de sécurité. Ces deux pays sont des alliés de longue date des États-Unis et des nœuds vitaux pour la préservation de l’ordre international fondé sur des règles en Asie. Néanmoins, leurs relations bilatérales ont été à plusieurs reprises entravées par des sensibilités historiques.

Mais à la suite d’un rare sommet trilatéral avec les États-Unis à Camp David en août dernier, Séoul et Tokyo se sont engagés à approfondir leur coopération dans les domaines de l’économie et de la sécurité. Le premier ministre japonais Kishida Fumio et le président sud-coréen Yoon Suk Yeol ont également convenu de se rencontrer cette année pour le premier sommet en personne entre les dirigeants des deux pays depuis plus de dix ans.

Les premières interrogations sur la pérennité de ce partenariat portent sur les destins politiques de Kishida et de Yoon. Tous deux ont une faible cote de popularité et devront affronter des élections cette année, ce qui pourrait entraver leur capacité à prendre des engagements audacieux en matière de politique étrangère, en particulier l’un envers l’autre.

Malgré d’éventuelles tensions dans les relations entre les États-Unis et la Corée du Sud, une bonne majorité de Sud-Coréens est aujourd’hui favorable à la coopération avec les États-Unis et le Japon, en particulier sur les questions de sécurité. Certains experts sont optimistes et pensent que l’institutionnalisation récente des relations bilatérales a contribué à les protéger contre les contestations ou les changements de dirigeants. Mais d’autres craignent que si Donald Trump est réélu aux États-Unis, l’engagement de Washington en faveur de la relation trilatérale ne soit en péril, étant donné la tendance de Trump à vouloir détricoter les réalisations de ses prédécesseurs.

Le Canada a apporté une contribution importante à une question de sécurité qui préoccupe directement le Japon et la Corée du Sud : l’application des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies contre la Corée du Nord visant à prévenir la prolifération nucléaire. Depuis 2018, l’armée canadienne a envoyé des navires, des avions et du personnel pour soutenir les efforts multinationaux de surveillance des activités de Pyongyang visant à contourner les sanctions.

La participation du Canada aux opérations de sécurité dans la péninsule coréenne intervient à un moment critique : au début de l’année 2024, les experts prévoyaient que la belligérance nord-coréenne s’intensifierait cette année. Bien que cette situation corresponde à la tendance antérieure de Pyongyang à multiplier les provocations au cours d’une année électorale américaine, la fréquence de ces provocations a plus que doublé, passant d’un niveau record de 26 par an en 2016 à 55 en 2022. En outre, deux observateurs de longue date de la situation en Corée ont averti le 11 janvier que « la situation dans la péninsule coréenne est plus dangereuse qu’elle ne l’a jamais été » depuis le déclenchement de la guerre de Corée en 1950 et que « Pyongyang pourrait avoir l’intention d’agir d’une manière qui défie complètement nos calculs ».

Enfin, le Canada peut étendre sa coopération avec ses partenaires du Pacifique Nord au-delà des questions de sécurité traditionnelles. Dans sa SIP, le Canada a identifié un large éventail de questions liées à la protection des chaînes d’approvisionnement et d’autres préoccupations en matière de sécurité économique dans le Pacifique Nord. En outre, en mars 2023, Ottawa a proposé un cadre de coopération quadripartite avec le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis pour contrer les menaces de la Russie et de la Chine. Cette proposition s’inspire grosso modo de la « quadrilatérale » États-Unis-Japon-Inde-Australie et d’autres groupements minilatéraux qui sont devenus une option de plus en plus souple et attrayante pour la coopération dans l’Indo-Pacifique.

#7 L’Asie sera-t-elle le moteur de la gouvernance de l’IA ?

ChatGPI on mobile device
Photo : Mojahid Mottakin via Unsplash

Suite à la montée en puissance de l'intérêt du public et de l’utilisation de systèmes d’IA basés sur de grands modèles de langage tels que ChatGPT, les efforts pour gérer et réglementer l’IA se sont accélérés en 2023. En 2024, la question de savoir comment cette technologie perturbatrice devrait être réglementée et quels pays parviendront à faire valoir leur position sera activement débattue. Plusieurs pays ont déjà proposé une législation ou sont sur le point de le faire, dans le but d’influencer le système réglementaire international. Mais négocier des règles mondiales pour régir les technologies émergentes est un défi, d’autant plus lorsque la concurrence stratégique géopolitique est en jeu. Par exemple, les États-Unis et la Chine, deux acteurs majeurs dans ce domaine, ont annoncé en novembre leur intention de mettre en place une consultation bilatérale sur l’IA, mais ils ne sont même pas d’accord sur ce qui constitue l’IA, ni sur les questions de sécurité et les risques qui y sont associés. De tels désaccords ne feront que compliquer leur future collaboration.

Le 8 décembre, l’Union européenne a adopté une loi globale, la loi sur l’IA, afin de réglementer l’intelligence artificielle et de trouver un équilibre entre les possibilités qu’elle offre et les risques associés à son développement et à son utilisation. Cette loi est considérée comme la première au monde à régir cette technologie en évolution rapide et vise à établir des normes au-delà des frontières de l’UE. Selon certaines informations, l’UE n’a pas réussi à rallier les gouvernements asiatiques à son approche contraignante. En effet, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et les pays de l’ANASE ont donné la priorité à une approche moins restrictive et plus favorable à l’innovation, qui tienne compte des situations nationales et des nuances culturelles. Fin janvier, l’ANASE devrait adopter son « Guide pour l’éthique et la gouvernance de l’IA » lors de la réunion des ministres du numérique de l’ANASE. Les lignes directrices devraient donner la priorité à une telle approche.

Ainsi, le fossé croissant entre l’Est et l’Ouest sur l’élaboration des réglementations relatives à l’IA que nous avons constaté les années précédentes devrait se creuser en 2024, alimentant l’écart déjà existant entre les règles et réglementations nécessaires pour empêcher l’IA de prendre une direction effrayante.

#8 La désescalade des tensions entre la Chine et les États-Unis se poursuivra-t-elle ?

US and China flags as puzzle pieces
Photo : Getty Images

In a relationship increasingly defined by competition and mutual distrust, Washington and Beijing managed to end 2023 on a slightly positive note after presidents Joe Biden and Xi Jinping met on the margins of the APEC summit in November. The outcomes included a re-establishment of military-to-military communications and China’s agreement to help curb the export of fentanyl-related products. Some observers say what was most significant was that the two leaders managed to meet at all. 

Domestic politics in both countries, however, could halt or reverse that momentum. In Washington, taking a hard line on China has become one of the vanishingly few areas of bipartisan consensus. The House Select Committee on the Strategic Competition between the United States and the Chinese Communist Party, created in early 2023, is reflective of this consensus and is increasingly reshaping the American conversation. That includes stronger pressure for de-coupling from the Chinese economy.

Meanwhile, many of the traditional “buffers and stabilizers” that used to undergird the relationship, especially those involved in commercial ties, have come undone. 

On the China side, Xi Jinping has concentrated foreign policy decision-making in his own hands. Some say that could lead to foreign policy incoherence and/or miscalculation. Moreover, the tough-on-China rhetoric emanating from the U.S. will only fuel his existing and long-held skepticism of American intentions, and Xi’s “obsession” with security has increased his tolerance for risk and the negative economic consequences of his policies. 

The U.S. presidential election in November could inject even more unpredictability into the bilateral relationship, especially if American voters return Donald Trump to the White House. If Biden hangs onto his job, he could face pressure from Congressional Republicans to limit the kinds of summits that happened in November; the above-mentioned House committee’s ranking member, Democrat Raja Krishnamoorthi, said recently that his Republican colleagues were “a little uncomfortable with the amount of dialogue that is happening at the highest levels” between the two governments.Dans une relation de plus en plus marquée par la concurrence et la méfiance mutuelle, Washington et Pékin ont réussi à terminer l’année 2023 sur une note légèrement positive après la rencontre des présidents Joe Biden et Xi Jinping en marge du sommet de l’APEC en novembre. Parmi les résultats, on peut citer le rétablissement des communications entre militaires et l’accord de la Chine pour aider à freiner l’exportation de produits liés au fentanyl. Certains observateurs estiment que le plus important est que les deux dirigeants aient réussi à se rencontrer.

La politique intérieure des deux pays pourrait toutefois stopper ou inverser cet élan. Washington, l’adoption d’une ligne dure à l’égard de la Chine est devenue l’un des rares domaines faisant l’objet d’un consensus bipartisan. La Commission spéciale de la Chambre des représentants sur la concurrence stratégique entre les États-Unis et le Parti communiste chinois (House Select Committee on the Strategic Competition between the United States and the Chinese Communist Party), créé au début de l’année 2023, est le reflet de ce consensus et redéfinit de plus en plus la conversation américaine. Il s’agit notamment d’une pression plus forte en faveur d’un découplage de l’économie chinoise.

Entre-temps, bon nombre des « amortisseurs et stabilisateurs » traditionnels qui étayaient les relations, en particulier ceux qui étaient impliqués dans les relations commerciales, se sont défaits.

Du côté chinois, Xi Jinping a concentré les décisions de politique étrangère entre ses mains. Certains affirment que cette situation pourrait conduire à des incohérences et/ou à des erreurs de calcul en matière de politique étrangère. En outre, la rhétorique dure à l’égard de la Chine émanant des États-Unis ne fera qu’alimenter son scepticisme existant et de longue date à l’égard des intentions américaines, et « l’obsession » de Xi pour la sécurité a accru sa tolérance au risque et aux conséquences économiques négatives de ses politiques.

L’élection présidentielle américaine de novembre pourrait rendre les relations bilatérales encore plus imprévisibles, surtout si les électeurs américains reconduisent Donald Trump à la Maison Blanche. Si Joe Biden s’accroche à son poste, il pourrait subir des pressions de la part des républicains du Congrès pour limiter le type de sommets qui ont eu lieu en novembre. Le membre de la commission parlementaire susmentionnée, le démocrate Raja Krishnamoorthi, a récemment déclaré que ses collègues républicains étaient « un peu mal à l’aise avec la quantité de dialogue qui a lieu au plus haut niveau » entre les deux gouvernements.

#9 Le Canada relèvera-t-il le défi de la présidence de la Commission du PTPGP en 2024 ?

Cargo cranes Port of Vancouver Canada
Photo : Kyle Ryan via Unsplash 

Le 1er janvier, le Canada a assumé la présidence de la Commission de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), l’organe décisionnel du pacte commercial composé de 11 membres. En tant que président, le Canada est chargé d’accueillir et de soutenir la huitième réunion de la Commission du PTPGP et de notifier à tous les organes concernés les décisions prises par la Commission. 

Au cours du mandat d’un an du Canada, Ottawa sera appelé à gérer des négociations délicates, notamment en ce qui concerne la Chine et Taïwan, qui ont toutes deux présenté des demandes d’adhésion en septembre 2021. Le seul précédent d’admission de nouveaux membres est le Royaume-Uni, qui deviendra bientôt le 12e membre du PTPGP. Dans ce cas, plus de deux ans se sont écoulés entre le début des pourparlers d’adhésion et la conclusion des négociations (en mars 2023). L’entrée d’un nouveau membre doit être approuvée à l’unanimité par tous les membres, et comme les négociations d’adhésion n’ont pas encore commencé avec Pékin ou Taipei, il est peu probable qu’une décision finale sur les deux demandes d’adhésion soit prise sous la direction du Canada.

Néanmoins, comme l’a suggéré Jeff Nankivell, président de la FAP Canada, dans un article récent de Nikkei Asia, le Canada pourrait « développer des idées novatrices et créatives » sur la manière de susciter « une augmentation progressive de l’engagement qui pourrait aider à intégrer l’économie et la population de Taïwan » dans le PTPGP. Notre attaché supérieur de recherche Hugh Stephens et son co-auteur Jeff Kucharski, ont par ailleurs exprimé leur opinion dans une note de synthèse récemment publiée par la FAP Canada sur les candidatures de la Chine et de Taïwan au PTPGP, selon laquelle la création d’une nouvelle catégorie de membres pourrait être une solution pour inclure ces deux aspirants.

Les experts ont également relevé que la Chine et Taïwan « offriront des avantages significatifs » s’ils sont acceptés. Mais il y a aussi des complications majeures en raison de la très forte résistance de Pékin à l’adhésion de Taïwan à toute instance internationale. Si Taïwan dispose d’arguments plus solides en raison de l’ouverture de son marché, sa candidature pourrait se heurter au refus des économies membres dont les gouvernements ne souhaitent pas compromettre les relations avec la Chine. La Chine, en revanche, devrait entreprendre des réformes réglementaires importantes sur des questions telles que les droits de douane, la concurrence et les droits de propriété intellectuelle pour satisfaire aux critères d’adhésion au pacte commercial. Les antécédents du pays en termes de « militarisation » du commerce pourraient également inciter les membres actuels à ne pas accepter sa candidature.

Reste à savoir comment le Canada traitera la question, mais quelle que soit la décision de la Commission, les actions du Canada en tant que président pourraient avoir des répercussions majeures et créer un précédent dans la prise de décision pour l’un des blocs commerciaux les plus importants au monde.

#10 Quel camp l’emportera dans la bataille de l’exploitation minière des grands fonds marins ?

Manganese nodules on seabed
Nodules de manganèse découverts dans les fonds marins au large de la Corée du Sud. | Photo : Getty Images

L’année dernière a apporté la preuve irréfutable des effets désastreux du changement climatique. Malgré ce constat, l’année 2023 s’est achevée sur une controverse après que plusieurs États ont refusé — avant de finalement céder — l’engagement pris lors de la COP28 à Dubaï d’abandonner les combustibles fossiles.

En 2024, un épisode plus calme mais non moins dramatique se jouera autour d’une autre question environnementale à fort enjeu : l’exploitation minière des fonds marins. Ses partisans affirment que les fonds marins recèlent un trésor de minéraux tels que le cobalt, le cuivre, le nickel, le manganèse et le zinc, ingrédients utilisés dans les technologies vertes et dans les industries de la défense et de l’aérospatiale. Parmi les partisans les plus fermes et les plus bruyants figurent la Chine, Singapour, une poignée d’États insulaires du Pacifique et une société minière canadienne, The Metals Company, qui n’a pas hésité à faire l’objet d’une publicité des plus controversées sur la question.

Le Canada figure parmi les opposants, aux côtés de plusieurs économies en développement, de pays européens et d’organisations de protection de l’environnement. Ce groupe a fait pression en faveur d’une interdiction ou d’un moratoire, avertissant que l’exploitation minière des fonds marins pourrait causer de graves dommages environnementaux, notamment la libération du carbone stocké au fond des océans et la contamination des eaux dont dépendent de nombreuses sociétés pour leur alimentation.

L’exploitation minière des fonds marins n’est actuellement pas autorisée dans les eaux internationales, mais l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) des Nations Unies pourrait adopter en juillet une série de règles environnementales qui donneraient le feu vert à cette pratique. Mais la transparence et l’impartialité de l’ISA ont été remises en question ; un rapport d’enquête datant de 2022 a mis en lumière les liens de complaisance qu’elle entretient avec The Metals Company. En outre, la Chine, qui a pris la tête du processus d’élaboration des règles, est le principal bailleur de fonds de l’ISA, et ses différents organes sont dirigés et dotés en personnel par des bureaucrates chinois. Lors de la réunion annuelle de l’ISA en 2023, la Chine aurait interrompu « à elle seule » les procédures relatives à une « pause de précaution sur les licences d’exploitation minière », préparant ainsi une sorte d’épreuve de force pour la prochaine phase des négociations.

Remerciements

La FAP Canada remercie Erin Williams, gestionnaire principale de programme, Compétences sur l’Asie, pour la coordination éditoriale de ce projet, et reconnaît les précieuses contributions de nos gestionnaires de programme et de tous les analystes de recherche de nos équipes de recherche régionales. Nous remercions également Eva Moreta pour la traduction de cette dépêche et Chloe Fenemore pour son soutien à la conception graphique.