Le Canada, réputé pour son identité multiculturelle et son engagement en faveur de la diversité, a également été façonné par des relations riches et complexes entre les Premières nations, les Métis, les Inuits et la société coloniale. La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation du Canada, commémorée le 30 septembre, est une initiative historique établie en 2021. Elle représente une étape cruciale vers la reconnaissance et la rectification de l’histoire douloureuse de la colonisation, des injustices systémiques et des traumatismes intergénérationnels subis par les peuples autochtones du Canada.
La Journée nationale pour la vérité et la réconciliation (JNVR) a été instaurée pour reconnaître les tragédies liées au système des pensionnats indiens au Canada, qui a fonctionné entre 1831 et 1996, et qui a contraint plus de 150 000 enfants des Premières nations, métis et inuits à fréquenter plus de 130 écoles à travers le pays. Cette journée est l’occasion de rendre hommage aux enfants décédés dans ces écoles et à la résilience des survivants et de leurs familles. C’est aussi une journée pour confronter les vérités inconfortables du passé et en guérir. En reconnaissant officiellement les traumatismes historiques infligés aux individus et aux communautés autochtones, la JNVR permet de catalyser un débat national et de prendre des mesures concrètes pour faire avancer la réconciliation, la responsabilité et la transformation sociale, et créer une société plus inclusive.
La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation est l’occasion de réfléchir aux points de vue de la région Asie-Pacifique, où résident 70 % de la population autochtone mondiale. La JNVR trouve son origine dans les expériences historiques et actuelles du Canada, mais des récits similaires résonnent parmi les peuples autochtones du monde entier, y compris parmi les divers peuples et cultures d’Asie, où les peuples autochtones entretiennent des relations uniques avec les gouvernements des États et la société dans son ensemble. La présente dépêche met l’accent sur la diversité des peuples autochtones et de leurs points de vue sur la vérité et la réconciliation. La Fondation Asie Pacifique du Canada s’est associée à des voix autochtones au Canada, à Taïwan, au Japon, en Aotearoa Nouvelle-Zélande et en Australie, reflétant ainsi les domaines d’intérêt de notre dépêche de 2021. La FAP Canada a demandé aux collaborateurs de réfléchir à trois questions :
- Que signifient la vérité et la réconciliation pour votre communauté et votre pays/région ?
- Quels sont les principaux défis à relever pour faire progresser la vérité et la réconciliation pour votre peuple et dans votre pays/région ? Que faire pour intensifier les efforts de réconciliation ?
- À votre avis, comment les populations autochtones de votre pays/région pourraient-elles collaborer avec les populations autochtones et non autochtones du Canada pour sensibiliser à la vérité et à la réconciliation et pour les faire progresser ?
Nous sommes convaincus que les expériences des communautés autochtones du Canada et de la région Asie-Pacifique partagées par ces leaders aideront à combler les fossés culturels, à mettre en lumière les injustices historiques dans un contexte mondial plus large et à offrir une occasion de réflexion qui contribuera aux processus de réconciliation au Canada et dans la région Asie-Pacifique.
– Dr. Scott Harrison (Gestionnaire principal de programme, Asie du Nord-Est), Sue Jeong (Apprentie chercheuse-boursière, Asie du Nord-Est), Momo Sakudo (Chercheuse-boursière, Asie du Nord-Est), and Tae Yeon Eom (Chercheur-boursier, Asie du Nord-Est).
Limuy Asien, cinéaste autochtone atayale (Taïwan)
Sur le site Internet du Comité taïwanais pour la justice historique et transitionnelle en faveur des populations autochtones, on peut trouver des enregistrements des réunions semestrielles du Comité. Présidées par la présidente Tsai Ing-wen, ces réunions rassemblent les représentants des autochtones et des colons pour leur permettre de faire le point et de travailler sur des questions urgentes concernant les moyens de subsistance des autochtones et l’injustice historique, en mettant l’accent sur des questions telles que les litiges fonciers impliquant la démarcation des territoires autochtones et l’exploitation des terres par l’État et les entreprises privées. Récemment, la question de savoir si les « Pingpu », ou « peuples autochtones des plaines », devraient se voir accorder un statut juridique d’autochtone et comment une telle reconnaissance pourrait potentiellement affecter le montant des ressources partagées entre les peuples autochtones est devenue un sujet épineux à l’ordre du jour de la réunion et parmi les membres du Conseil des peuples autochtones de Taïwan.
Certaines de ces questions touchent encore les membres de la communauté autochtone de Naro, où j’ai grandi. En effet, des terres autochtones réservées sont vendues à des investisseurs extérieurs grâce à des lacunes juridiques. Sur Google Maps, on a l’impression que ma communauté est envahie par des terrains de camping de plus en plus vastes qui accueillent des colons touristes. L’afflux de touristes sur ces terrains de camping a considérablement entravé l’accès des membres de la communauté aux ressources en eau.
Que pourrait représenter la justice transitionnelle pour ma communauté ? J’aimerais évoquer ici certains changements survenus dans l’école primaire que j’ai fréquentée. Grâce aux efforts constants de plusieurs enseignants et anciens autochtones, mon école primaire est en train de devenir une école expérimentale autochtone. Les enfants de ma communauté ont désormais des cours de langue atayale toutes les semaines, alors qu’il y a vingt ans, lorsque je fréquentais l’école, le professeur de langue autochtone ne venait qu’une semaine sur deux, en raison de la pénurie de professeurs. Aujourd’hui, je croise souvent des enfants qui annoncent avec enthousiasme qu’ils s’entraînent pour devenir chasseurs ou des enfants qui se préparent à participer au concours national d'orthographe en langue atayale.
Malgré les efforts du gouvernement pour réparer les erreurs structurelles laissées par les régimes coloniaux successifs et les progrès réalisés après les excuses de la présidente Tsai en 2016 pour faire avancer les droits culturels et éducatifs des autochtones, les communautés autochtones de Taïwan sont toujours aux prises avec les conséquences des saisies des terres, des déplacements et des désavantages sociaux et économiques qui continuent de menacer leur existence. La délimitation des territoires traditionnels autochtones, qui ne prend en compte que les terres publiques et non les terres privées, facilite l’exploitation des territoires autochtones et entrave le développement des cultures autochtones. Les réparations gouvernementales sous forme de compensations monétaires ne peuvent pas non plus effacer le fait que les mines de ciment, les tours de transmission et les sites de stockage nucléaire, parmi d’autres types de débris coloniaux, sont toujours bien présents sur les terres autochtones.
En réponse à ces démarches descendantes de réconciliation, des collectifs autochtones ont organisé des manifestations. La Classe de justice autochtone (Indigenous Justice Classroom ou 原轉⼩教室), par exemple, a initié la manifestation du boulevard Ketagalan en 2017, qui a vu des camps s’installer devant le bâtiment des bureaux présidentiels sur le boulevard Ketagalan pour protester contre les règlements injustes de démarcation des terres. En outre, des artistes, des écrivains, des musiciens et des cinéastes issus de diverses communautés autochtones ont contribué à ouvrir l’espace politique grâce à leurs projets ascendants qui ciblent des publics autochtones, colons et potentiellement mondiaux. En effet, leurs œuvres rendent visibles des histoires complexes et souvent méconnues de lutte, de survie et de résurgence des peuples autochtones et nous encouragent à penser au-delà des formes de justice transitionnelle dirigées par l’État (qui ont échoué). À l’instar de la promotion des cultures et des langues autochtones par les membres de la communauté, le cadre de la justice transitionnelle a été remis en question et complété par les efforts de ceux qui ne sont pas satisfaits par la seule action juridique et étatique.
Taïwan n’est pas membre des Nations Unies et ne peut donc pas participer à l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones en tant qu’entité politique officielle. Malgré cette exclusion, il existe depuis longtemps d’autres formes d’échanges culturels et artistiques entre Taïwan et le monde autochtone au sens large.
Au moins un membre du comité que j’ai mentionné plus tôt, par exemple, s’est rendu au Canada pour sensibiliser les gens aux questions autochtones à Taïwan. Sur le plan cinématographique, plusieurs festivals de films au Canada ont projeté d’importants documentaires autochtones de Taïwan. En octobre prochain, la réalisatrice autochtone atayale Laha Mebow, première femme taïwanaise à avoir remporté le prix du meilleur réalisateur au Golden Horse Film Festival de Taïwan, rendra visite à la réalisatrice Katsitsionni Fox sur le territoire mohawk d’Akwesasne avant de se rendre au festival imagineNATIVE Film + Media Arts Festival à Toronto, le plus grand rassemblement de cinéastes autochtones du monde entier. Le partage d’histoires et de récits, même s’il n’est pas toujours linéaire ou triomphant, peut constituer un terrain propice à la solidarité et à l’enracinement de nouvelles idées sur la vérité et la réconciliation.
Mikaere Berryman-Kamp, éducateur et militant Māori (Nouvelle-Zélande)
Le processus de vérité et de réconciliation est en cours et sa concrétisation varie d’une communauté et d’un groupe à l’autre. En Nouvelle-Zélande, j’ai entendu dire dans mon enfance que nous n’avions pas d’histoire. Lorsque l’on vieillit, on commence à comprendre que l’histoire des Māori en Nouvelle-Zélande est souvent laissée de côté à dessein pour tenter de masquer les blessures et les traumatismes causés par la colonisation. C’est pourquoi il est impératif de connaître la vérité, afin que les individus puissent comprendre les facteurs qui ont contribué à la plupart des problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que peuples autochtones. La vérité doit être discutée librement et en toute franchise, en particulier avec les jeunes générations, afin qu’elles puissent comprendre le chemin que leurs tūpuna (ancêtres) ont parcouru et le voyage qui les attend. En démasquant les faits, on apprend le contexte qui permet d’affirmer la voie à suivre. Ce processus n’est ni une solution rapide, ni un exercice à cases à cocher. Il s’agit d’une série d’actions lentes et délibérées qui respectent les promesses faites aux peuples autochtones.
L’identité – de lieu, de personne, etc. – peut être remise en question au fur et à mesure que nous avançons sur le chemin de la vérité et de la réconciliation. Si la récupération des noms de lieux traditionnels est essentielle à l’affirmation d’une identité autochtone, son importance n’est souvent pas reconnue. Certains refusent de reconnaître ces « nouveaux noms » dans leur pays, car ils ont vécu toute leur vie avec une idée différente de l’endroit où ils se sentent chez eux. Certains pensent avoir des racines profondes en Nouvelle-Zélande parce que leur famille y habite depuis plus de cent ans, mais ferment les yeux sur ceux qui vivent à Aotearoa depuis près d’un millier d’années. À mesure que le Te Reo Māori (langue māori) gagne en reconnaissance et en soutien public, ceux qui ne le comprennent pas peuvent avoir l’impression que leur identité est attaquée et que la Nouvelle-Zélande qu’ils connaissent et aiment est en train de disparaître. Le problème se résume à un manque de compréhension de notre histoire [autochtone] et au fait que nos noms soient plus que de simples mots. Ce sont des marqueurs de l’histoire, des indicateurs écologiques, des repères, des déclarations d’amour et bien plus encore. Pour certains, un nom n’est qu’un nom, mais pour nous, c’est la reconnaissance publique et la validation de notre monde, chaque jour.
L’éducation par le biais de l’enseignement général est une solution solide pour résoudre les tensions identitaires Des personnes comme Te Rauhiringa Brown, qui a suscité un débat en présentant la météo avec des noms de lieux Māori, devraient être reconnues pour leur persistance et leur résilience à promouvoir notre réalité auprès de la population dans son ensemble. Changer un mot à la fois peut sembler insignifiant, mais l’utilisation continue de notre langue vernaculaire nous rappelle gentiment que nous sommes toujours là, et que notre monde est bien vivant. Ce principe s’applique également au port d’ornements traditionnels dans l’espace public, qu’il s’agisse de bijoux, de tatouages ou de vêtements.
Nous, communautés autochtones, existons en tant que fils différents, tissés de manière complexe par des expériences partagées. Chaque fil est différent mais peut être relié à un autre par l’histoire, avant et après la colonisation. Dans la région Asie-Pacifique, le plaidoyer est extrêmement important car la crise climatique s’aggrave et ses effets se font sentir dans toute la région. Pendant des années, ces communautés ont été exploitées et sont aujourd’hui largement ignorées alors que les mers montent et que les catastrophes frappent chaque année. Comme mentionné précédemment, la vérité et la réconciliation ne doivent pas se faire dans la précipitation, or la région Asie-Pacifique doit faire face à la réalité de la migration forcée à mesure que les terres traditionnelles [des autochtones] disparaissent.
Le rôle des Māori et des peuples autochtones à Kanâta (Canada) devrait consister à assurer la publicité et à apporter un soutien franc en ce qui concerne les catastrophes climatiques et la reconnaissance des peuples autochtones. Ceux de l’Asie-Pacifique pourraient également recevoir un soutien dans le cadre des processus de ratification des traités, ce qui leur permettrait de faire pression sur les différents gouvernements de la région. Notre peuple a parcouru ce chemin et a beaucoup appris en cours de route, ce qui pourrait être d’une grande aide. L’essor des outils en ligne offre également plus de possibilités de soutien que jamais auparavant, notamment en raison des contraintes de ressources qui pèsent sur certaines îles. Kanohi ki te kanohi (face à face) est le lieu où nous brillons en tant que peuples autochtones, mais les échanges virtuels et les ateliers peuvent inspirer des moyens créatifs pour aller de l’avant.
Kiri Dell, Ph. D., maître de conférences en gestion et affaires internationales à la University of Auckland (Nouvelle-Zélande)
Vérité et réconciliation ne sont pas des termes couramment utilisés dans le discours national de décolonisation d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande). Les termes qui prévalent ici englobent plutôt les règlements et les griefs. Le Traité de Waitangi de 1840, document fondateur de la Nouvelle-Zélande, est un accord conclu entre les représentants de la Couronne britannique et quelque 540 Māori Rangatira (chefs), censé signaler un accord de partenariat mutuel. Cependant, les Britanniques se sont par la suite opposés à ces intentions et ont décidé d’assujettir les Māori, d’imposer leurs systèmes sociaux et juridiques et de les priver violemment de leurs ressources, telles que la terre et la langue. Aujourd’hui, le Traité de Waitangi est considéré comme le document fondateur de la Nouvelle-Zélande, qui exprime l’intention du partenariat entre les deux parties, lequel doit être respecté et honoré. Par conséquent, la langue née de la rectification des erreurs du Traité devient la version de la vérité et de la réconciliation de notre pays.
Malgré la persistance de comportements excessivement racistes et de points de vue dépassés dans ce pays, je reste optimiste, et je suis persuadée que l’Aotearoa fait preuve de bonne volonté réelle et d’une intention sincère de rectifier les erreurs du passé. Là où nous rencontrons des difficultés, c’est lorsqu’il s’agit de comprendre véritablement ce que signifie le partenariat. De nombreuses personnes dans le pays ont du mal à accepter l’idée que les Māori soient un partenaire de la Couronne. Des expressions résistantes comme « une loi pour tous » et « nous sommes tous un seul peuple » (qui sont en fait une forme réinventée d’idéologies d’assimilation) sont utilisées pour tenter de présenter les partenariats entre les Māori et la Couronne comme une forme de séparatisme national. Or, c’est l’inverse qui se produit. Si de nombreux progrès ont été réalisés en Aotearoa, de nombreuses communautés Māori sont encore désorganisées et fragmentées. Le principal défi pour les Pakeha (terme en langue māori désignant les Néo-Zélandais essentiellement d’origine européenne) est de permettre, de manière altruiste, le transfert des ressources vers les communautés māori. Ensuite, il faut s’éloigner pour laisser aux Māoris l’espace nécessaire pour se prendre en charge, s’engager et profiter du simple fait d’être Māoris, sans interruption. Des partenariats solides, collaboratifs, positifs et fusionnels avec les colons deviennent alors une conséquence naturelle de ce processus.
Au risque de paraître cliché, l’adage « la somme de nous est plus grande que ses parties » prend tout son sens, car il souligne l’importance de l’unité. Mais il y a une étape importante à franchir avant cela, qui consiste à apporter le soutien de l’État aux communautés indigènes pour qu’elles fassent l’expérience du processus et de l’état d’être simplement autochtones, sans agitation politique ni privation sociale et culturelle. Les peuples autochtones doivent faire l’expérience répétée de la joie d’être simplement eux-mêmes.
Trau Pakaruku Sawma, leader culturel et politique pinuyumayen (Taïwan)
(Traduit du chinois mandarin par Scott E. Simon, Ph. D., professeur à l’Université d’Ottawa)
Le défi de la vérité et de la réconciliation à Taïwan réside dans la réticence à affronter la vérité et dans l’incertitude qui entoure la définition de la réconciliation. Pendant la loi martiale à Taïwan (1949 à 1987), nous n’avions pas le droit de parler de ces sujets. Aujourd’hui, la jeune génération née depuis les années 1980 ne connaît pas encore les réponses à ces questions.
En 1999, les peuples autochtones de Taïwan ont signé un nouvel accord de partenariat avec le candidat à la présidence Chen Shui-bian. En 2005, la Loi fondamentale sur les peuples autochtones a été adoptée, mais nombre de ses dispositions n’ont pas encore été mises en œuvre. Lorsque Ma Ying-jeou était président, il voulait proposer une loi sur l’autonomie [pour les peuples autochtones de Taïwan], mais elle n’a pas été adoptée. Aujourd’hui, la présidente Tsai Ing-wen s’est excusée et a créé une commission sur la justice transitionnelle. Cette commission a rédigé de nombreux rapports, mais elle n’a pas pris contact avec les populations autochtones ordinaires.
Actuellement, nous sommes en train de mettre en place notre propre comité national. Nous devons organiser des réunions et décider de ce que nous voulons. Entre 2000 et 2023, tous les intellectuels autochtones qui ont réussi ont pris un emploi dans le système actuel. Nous bénéficions tous de l’aide sociale, mais nous devons récupérer nos terres. La plupart des demandes du mouvement social ont été satisfaites, mais nous n’avons pas récupéré nos terres. La société dominante devrait être en mesure d’accepter nos demandes d’autonomie, mais il existe des divergences d’opinion. Nous commencerons notre travail en 2024 et nous devons exprimer nos besoins.
Kanako Uzawa, Ph. D., fondatrice d’AinuToday, professeure adjointe à la Hokkaido University (Japon)
Selon moi, la vérité et la réconciliation au Japon passent par trois étapes. La première consisterait en des excuses officielles de la part du gouvernement japonais et des universités où des restes humains volés ont été conservés. La deuxième étape consiste à formuler des politiques et des stratégies en dialogue avec les peuples autochtones du Japon. La troisième étape consisterait à mettre en œuvre ces politiques et mesures. Ce que j’entends ici par « vérité et réconciliation », c’est la prise en compte des fautes historiques commises à l’égard des populations autochtones, de la terre et des ressources naturelles, telles que le vol de restes humains, l’aliénation des terres, les violences sexuelles, l’invasion militaire, la saisie des ressources naturelles, les violations des droits de l’homme, la conduite de recherches contraires à l’éthique et la manière dont la loi a été formulée au profit des Japonais et au détriment de la souveraineté des Aïnous.
Dans mon domaine d’expertise sur les méthodologies de recherche autochtones, j’aimerais que le gouvernement et les universités offrent aux Aïnous davantage de soutien financier, d’opportunités et d’espace pour ceux qui souhaitent mener des projets de recherche dans leurs propres communautés. Je pense que l’une des stratégies les plus importantes consiste à faire en sorte que les chercheurs autochtones servent de modèles aux jeunes qui pourraient alors souhaiter devenir eux-mêmes des chercheurs autochtones. Il est particulièrement important que les chercheurs autochtones aient la pleine autorité sur leurs propres recherches et sur les recherches menées dans leurs communautés.
L’impression générale que j’ai eue dans les communautés aïnou est que la sensibilisation aux droits des autochtones est particulièrement faible et que l’accent est mis sur la préservation et le développement de la culture. Pour eux, la vérité et la réconciliation pourraient impliquer la reconnaissance de leur propre travail et un soutien financier pour la poursuite de la préservation de leur culture. Ils pourraient également souhaiter que des initiatives soient prises pour créer des emplois pour les jeunes de leurs communautés.
C’est difficile parce que les Aïnous n’ont pas de base solide pour entamer une discussion sur la vérité et la réconciliation. La prise de conscience ou la compréhension du concept de vérité et de réconciliation est faible, ce qui implique que nous devons commencer par éduquer les gens sur ce concept à l’initiative des peuples autochtones eux-mêmes, plutôt qu’à celle « d’experts » extérieurs. Pour que la réconciliation prenne de l’importance, il est impératif de favoriser un environnement propice à un discours ouvert, qui doit être initié et mené par les peuples autochtones, mais qui doit inclure à la fois les autochtones et les non-autochtones dans la discussion.
Il serait utile d’entamer un dialogue sur les expériences partagées. Néanmoins, l’élaboration d’une stratégie tangible pour progresser reste cruciale, car parfois ces réunions commencent et se terminent par l’apprentissage de la situation d’autres peuples, sans aller plus loin en raison de différences dans les cadres juridiques ou d’autres défis dans la mise en œuvre. Nous devons donc nous renseigner sur les cas de mise en œuvre réussie, puis distiller quelques points clés dont les spécificités pourraient être modifiées pour s’appliquer à la situation unique du Japon. Les dirigeants autochtones du Canada pourraient contribuer à sensibiliser au concept de vérité et de réconciliation, à sa signification et à sa mise en pratique.
Raylene Whitford, directrice du programme INDIGI-X (Canada)
La vérité est essentielle à toute forme de réconciliation et doit passer en premier. Le Canada, en tant que nation, n’en est encore qu’au stade initial de la compréhension des graves préjudices et injustices qu’il a infligés – et continue d’infliger – à ses peuples autochtones.
Pour moi, la réconciliation est synonyme de :
- Remédier aux injustices et faciliter l’équité et l’égalité : sur le plan juridique, social et économique.
- Combler le fossé dans des domaines tels que la santé, l’éducation, l’emploi et le niveau de vie
- Renforcer l’éducation, la compréhension et, en fin de compte, les partenariats entre les populations autochtones et non autochtones
- Créer des relations respectueuses, mutuellement bénéfiques et durables.
Ces derniers temps, l’aspect économique de la réconciliation a fait l’objet d’une attention accrue. Et c’est à juste titre. Toutefois, je pense que l’aspect relationnel de la réconciliation est important et mérite d’être développé. Même si aucune compensation monétaire ne peut vraiment réparer les souffrances endurées, le fait de favoriser des relations authentiques peut ouvrir la voie à la guérison.
Je pense que le public canadien soutient largement ce mouvement et en comprend l’importance. Il est maintenant temps que le gouvernement et l’industrie lui emboîtent le pas. Le plan d’action du gouvernement fédéral visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) est un bon début, mais nous devons accélérer le rythme pour faire des progrès. L’industrie et les entreprises font également des efforts, mais si elles n’adhèrent pas pleinement à la réconciliation – tant sur le plan relationnel qu’économique –, l’impact réel restera lettre morte.
La région Asie-Pacifique abrite la population de peuples autochtones la plus importante, et peut-être la plus diversifiée, au monde. La création d’une communauté mondiale de soutien et de défense de l’action collective, telle que la création d’un espace d’apprentissage et de partage des meilleures pratiques, constitue une force considérable.
INDIGI-X, un réseau de leaders du changement autochtones du Canada, d’Aotearoa Nouvelle-Zélande et d’Australie, en est un merveilleux exemple. Le simple fait d’offrir une plateforme aux dirigeants autochtones de divers horizons, secteurs et zones géographiques pour qu’ils se réunissent et partagent leurs connaissances permet de trouver des solutions intéressantes et de nouer des relations, dont beaucoup ont évolué vers des partenariats commerciaux, des conseils en matière de politique et des échanges internationaux. Le programme repose toutefois sur une compréhension et un soutien communs à d’autres personnes qui ont subi – et continuent de subir – des violences coloniales, ainsi que sur un engagement inébranlable à travailler ensemble pour lutter contre ces inégalités.
Quelqu’un m’a récemment dit : « Seuls, nous sommes un numéro d’identification fiscale. Ensemble, nous sommes une force collective. » Voilà un bon exemple de ce à quoi pourrait ressembler un plaidoyer mondial en faveur de la réconciliation.