Escalade de la concurrence entre les États-Unis et la Chine pour les minéraux critiques : conséquences pour le Canada

Photographed here on June 29, 2017, during his first presidency, Donald Trump delivers remarks at the Energy Department in Washington, D.C.
Photo : Kevin Dietsch-Pool/Getty Images

Au cours des cinq dernières années, la concurrence autour des minéraux critiques est devenue un point central de la rivalité entre les grandes puissances, en particulier entre les États-Unis et la Chine. Ces matériaux stratégiques, dont les métaux du groupe des terres rares, sont essentiels à la production des technologies de pointe qui sous-tendent l’économie verte ainsi que les secteurs de la défense, de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique. La transition rapide vers des énergies plus propres, des véhicules alimentés par des batteries et des produits électroniques de pointe entraîne une forte augmentation de la demande en minéraux critiques. Parallèlement, la complexité des chaînes d’approvisionnement a intensifié les tensions géopolitiques, alors que les pays s’efforcent de garantir la stabilité des sources de minéraux critiques et de réduire les vulnérabilités.

La domination de la Chine dans les secteurs de l’extraction, du raffinage et du traitement de la plupart de ces minéraux – jumelée à sa volonté récente de les utiliser comme armes dans les guerres commerciales – a suscité un vaste éventail de réactions de la part des États-Unis et de leurs partenaires. Le Canada, avec ses ressources minérales abondantes et ses chaînes d’approvisionnement profondément intégrées à celles des États-Unis, pourrait jouer un rôle central dans l’atténuation de la domination chinoise.

Dans la présente dépêche, nous explorons l’évolution de la concurrence entre les États-Unis et la Chine dans le secteur des minéraux critiques, la réaction des États-Unis (d’abord sous la direction Joe Biden, puis maintenant sous celle de Donald Trump) et ce que cela signifie pour le Canada, qui souhaite sécuriser ses propres chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques et à préserver un avantage stratégique.

Domination de la Chine et « arsenalisation » des minéraux critiques

Dans un secteur prédisposé à la concentration – compte tenu de la nature spécialisée des activités d’extraction et de raffinage – la Chine s’est imposée comme le fournisseur prédominant. Sa mainmise est importante : le pays est responsable d’environ 60 % de la production mondiale de métaux du groupe des terres rares et d’environ 85 % de la capacité de transformation de la mine au métal. Pour ce qui est des matériaux de batterie essentiels aux technologies vertes, la Chine raffine 73 % du cobalt, 59 % du lithium et 68 % du nickel. Elle arrive également en tête de la production de gallium et de germanium, deux minéraux essentiels à la fabrication des puces électroniques.

Ce qui préoccupe davantage les décideurs américains (et les marchés mondiaux), c’est la volonté manifeste de Beijing d’utiliser ces avantages de la chaîne d’approvisionnement comme levier dans les différends commerciaux. Ces dernières années, la Chine a imposé à plusieurs reprises des restrictions à l’exportation ou des retenues douanières temporaires sur des minéraux essentiels pour les semi-conducteurs, les batteries de véhicules électriques et les alliages de haute technologie. Parmi les plus notables :

  • Juillet 2023 : Imposition de restrictions douanières sur le gallium et le germanium, tous deux essentiels à la production de puces.
  • Octobre 2023 :  Arrêt temporaire des exportations de graphite naturel de haute pureté utilisé pour la fabrication de batteries pour véhicules électriques.
  • Août 2024 Ajout de l’antimoine, un matériau essentiel à double usage, aux contrôles des exportations.
  • Décembre 2024 Interruption des exportations de gallium, de germanium et d’antimoine vers les États-Unis.
  • Janvier 2025 : Restrictions sur le tungstène, le tellure, le bismuth, le molybdène et l’indium – des matériaux essentiels pour la défense et les technologies propres – en grande partie en représailles aux nouveaux droits de douane américains.

Jusqu’à présent, l’incidence économique de ces mesures a été limitée. Par exemple, bien que les exportations de germanium de la Chine vers les États-Unis aient initialement chuté en octobre 2023 – deux mois après l’entrée en vigueur des mesures de contrôle – elles sont rapidement remontées aux niveaux antérieurs à ces mesures. Cela s’explique notamment par le fait que les dispositions prises par Beijing ne constituent pas un embargo total et qu’elles autorisent encore les exportations dans le cadre d’un processus d’octroi de licences rigoureux, mais possible. Les expéditions vers les États-Unis de certaines variantes, comme les oxydes de germanium et les dioxydes de zirconium, qui ne sont pas touchées par les contrôles, ont également fait un bond en 2024. Ces restrictions chinoises ciblées servent principalement à rappeler symboliquement que la Chine est prête à riposter si Washington restreint son accès aux technologies de pointe et est en mesure de le faire. Toutefois, si Beijing élargit sa liste de métaux contrôlés – en particulier ceux dont l’utilisation économique est plus répandue – ses actions pourraient avoir un effet déterminant sur la chaîne d’approvisionnement mondiale en minéraux critiques, dans laquelle le Canada reste un participant essentiel.

La vulnérabilité des États-Unis et la réponse de l’administration Biden

Les États-Unis dépendent fortement des importations pour obtenir des minéraux critiques. Sur les 50 produits miniers que Washington qualifie de « critiques », la Chine procède à l’extraction ou à la transformation d’environ 30 d’entre eux. En effet, la Chine est le premier fournisseur des États-Unis pour 21 de ces produits. Et pour beaucoup de ces produits qui ne peuvent pas être remplacés, les États-Unis dépendent à 100 % des importations.

Face à cette situation, l’administration Biden s’était attachée à réduire la dépendance à l’égard de la Chine en accélérant la production nationale, en veillant à la résilience de la chaîne d’approvisionnement et en nouant des alliances avec des démocraties partageant les mêmes valeurs. Ces efforts ont notamment porté sur les points suivants :

  • Investissements nationaux : Encourager l’exploration, la cartographie des ressources et la simplification des autorisations pour l’exploitation et le traitement des minéraux critiques aux États-Unis.

  • Cadres multilatéraux : Diriger la création du Partenariat pour la sécurité des minéraux en juin 2022, une coalition de 15 économies (dont le Canada, l’UE, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud) qui sont déterminées à mettre en commun leurs ressources et leurs financements pour garantir la stabilité des approvisionnements en minéraux critiques.

  • Accords bilatéraux : Renforcer la collaboration avec les alliés en concluant des protocoles d’entente particuliers, en menant des projets de recherche et de développement ainsi qu’en réalisant des co-investissements ciblés dans des sources de minéraux critiques « amicales ».

Sous la présidence de M. Biden, la stratégie globale en était une d’« économie d’affinité » ou de « délocalisation alliée » qui cherchait à assurer la diversification de la chaîne d’approvisionnement en s’éloignant des points de défaillance uniques (Chine) tout en soutenant les économies des pays alliés. Le Canada a été l’un des principaux bénéficiaires de cette stratégie et a participé activement aux cadres sur les minéraux critiques de l’ère Biden.

L’approche du Canada : Stratégie sur les minéraux critiques et collaboration avec les États-Unis

Pour le Canada, les minéraux critiques représentent à la fois une occasion économique et une préoccupation de sécurité nationale, étant donné ses chaînes d’approvisionnement intégrées à celles des États-Unis dans les domaines de l’automobile, de l’énergie et de la défense. En 2022, Ottawa a lancé sa Stratégie sur les minéraux critiques, qui décrit comment le Canada entend tirer parti de ses riches gisements de minéraux pour servir de fournisseur sûr et durable à ses alliés – en particulier les États-Unis – tout en maximisant la création de nouveaux emplois, les partenariats autochtones ainsi que la transition vers une économie verte.

Depuis 2020, le Canada et les États-Unis collaborent dans le cadre d’un plan d’action mixte sur les minéraux critiques, qui facilite le co-investissement et la sécurité de la chaîne d’approvisionnement. En 2024, le ministère américain de la Défense (DoD) avait investi dans plusieurs initiatives canadiennes d’exploitation minière et de raffinage par l’intermédiaire de la Defense Production Act. Voici quelques-uns de ces investissements :

  • 14,7 M$ US à Fortune Minerals Limited (Ontario) et à Lomiko Metals Inc. (Québec) pour renforcer les chaînes d’approvisionnement du cobalt et du graphite de l’Amérique du Nord;
  • 20 M$ US à Electra Battery Materials, basée à Toronto, pour créer la première raffinerie de sulfate de cobalt en Amérique du Nord, qui devrait alimenter les batteries des véhicules électriques et les systèmes d’armement du ministère de la Défense d’ici 2026;
  • 15,8 M$ US pour l’amélioration des lignes de transmission dans l’est du Yukon afin de soutenir l’extraction de minéraux critiques.

Ces co-investissements soulignent la consolidation de l’intégration de la chaîne d’approvisionnement transfrontalière, mais dépendent également de la stabilité des politiques américaines; l’imprévisibilité de Washington pourrait donc compromettre le rôle du Canada en tant que partenaire fiable.

Ces dernières années, Ottawa s’est efforcé d’harmoniser ses priorités en matière de sécurité économique à celles des États-Unis en peaufinant son cadre réglementaire afin d’atténuer les vulnérabilités stratégiques dans le secteur des minéraux critiques. Parallèlement à son plan d’action de collaboration avec les États-Unis, le Canada a modifié en 2022 la Loi sur Investissement Canada (LIC), imposant un examen plus approfondi des investissements étrangers susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale. Cette mesure visait à veiller à ce que les entreprises publiques étrangères et les entités ayant des liens avec des pays préoccupants – en particulier la Chine – ne s’infiltrent pas dans les chaînes d’approvisionnement nord-américaines ou ne les perturbent pas.

Plusieurs entreprises ont décidé d’annuler des investissements à la suite de la modification des règles, ce qui démontre l’engagement du Canada à maintenir une chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques sûre et résiliente harmonisée aux stratégies de réduction des risques américaines.

Par exemple, SRG Mining a annulé la vente de 19,4 % de ses parts au groupe privé chinois Carbon One New Energy Group en mars 2024 après avoir essuyé des critiques publiques, notamment de la part du ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne, pour avoir prétendument « contourné » le processus d’examen de la sécurité. De même, Solaris Resources a renoncé en mai 2024 à vendre 15 % de ses parts au groupe chinois Zijin Mining pour son projet de cuivre en Équateur, en invoquant l’incertitude entourant le calendrier d’approbation de la LIC. Ces cas particuliers, combinés à des co-investissements antérieurs, comme la somme de 14,7 M$ US allouée à l’amélioration des chaînes d’approvisionnement nord-américaines de cobalt et de graphite et la somme de 20 M$ US destinée à l’établissement de la première raffinerie de sulfate de cobalt du continent, renforcent l’importance d’instaurer un cadre coordonné d’examen des investissements et de protection de la chaîne d’approvisionnement afin de préserver la sécurité économique dans un contexte de concurrence mondiale intensifiée. Même si de nouvelles tensions secouent le commerce entre le Canada et les États-Unis, cette approche concertée demeure vitale.

Les 50 premiers jours de Trump : un virage vers l’« America First »

Lorsque le président américain Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche en janvier, on a rapidement conclu que l’approche des États-Unis pourrait passer d’une « économie d’affinité » à une mentalité « America First » (l’Amérique d’abord).

Dès son premier jour, Trump a publié un décret intitulé Unleashing American Energy, qui prévoyait une rationalisation du processus de délivrance des permis et du soutien fédéral alloué aux projets nationaux de minéraux critiques, une évaluation des risques pour la sécurité nationale liés à la dépendance à l’égard des importations ainsi qu’un renforcement des capacités nationales – même au détriment des chaînes d’approvisionnement des pays alliés.

L’approche de l’administration Trump concernant les minéraux critiques semble beaucoup plus unilatérale et transactionnelle que celle du gouvernement Biden. Par exemple, le décret insistait sur la priorité à donner aux intérêts, aux coûts et aux avantages pour les Américains et dissociait ces derniers des impacts globaux lors de l’évaluation des décisions sur les règles et les réglementations. La volonté de Trump d’imposer des droits de douane sur les importations stratégiques – y compris certaines provenant d’alliés de longue date – complique encore la notion de chaîne d’approvisionnement transfrontalière harmonieuse en minéraux critiques. La mentalité « America First » remaniée risque de perturber des partenariats bien établis avec le Canada, surtout si Washington impose des droits de douane ou restreint les co-investissements étrangers dans les chaînes d’approvisionnement américaines afin d’entreprendre une délocalisation quasi totale.

Pourtant, une autosuffisance totale en minéraux critiques n’est pas réaliste pour les États-Unis. L’extraction et le traitement de certains métaux du groupe des terres rares ou de matériaux de batterie avancés à partir de rien nécessitent d’énormes investissements, une main-d’œuvre spécialisée et des compromis environnementaux. Cela laisse supposer que même une administration « Trump 2.0 » pourrait finalement dépendre du Canada, de l’Australie ou d’autres fournisseurs alliés, ne serait-ce que pour combler le déficit à court ou moyen terme.

Le Canada est le premier fournisseur des États-Unis sur le plan des importations de minéraux et de métaux, avec des ventes totalisant 47 G$ US en 2023, et est la principale source de minéraux clés tels que le nickel et le cobalt. S’ils veulent renforcer leurs capacités de fabrication et de défense, les États-Unis ne peuvent pas complètement écarter les avantages que leur procure le Canada. Avec un marché des minéraux critiques fortement intégré, les deux pays échangent des produits minéraux critiques intermédiaires et en aval de part et d’autre de la frontière, très souvent à différents stades de la transformation.

Dans le cas du nickel, les États-Unis dépendent entièrement du Canada pour la capacité de raffinage qui leur fait défaut. En plus de disposer d’une énergie facilement accessible pour la fusion et d’un processus de délivrance de permis d’exploitation minière plus efficace (le délai moyen d’autorisation est de deux ans au Canada, contre 7 à 10 ans aux États-Unis), le Canada possède une plus grande expertise dans l’utilisation de solutions numériques pour l’exploration et la modélisation des ressources minières, ce qui en fait un partenaire essentiel pour les États-Unis. Pour rivaliser avec la Chine, qui domine le marché des minéraux critiques, il importe de préserver la base nord-américaine de minéraux critiques, notamment grâce à des accords tels que l’ACEUM, afin de permettre une coopération intergouvernementale en ce qui concerne les normes, les co-investissements et le partage des connaissances.

Conclusion

À l’heure où la concurrence entre les États-Unis et la Chine s’intensifie, les minéraux critiques jouent un rôle central dans la sécurité économique, la défense nationale et le progrès technologique. La domination de la Chine dans le domaine de l’extraction et de la transformation, associée à sa volonté évidente de limiter les exportations dans le cadre de différends politiques, constitue un enjeu de taille pour les économies occidentales. Sous Biden, les États-Unis ont cherché à atténuer ce risque en formant des alliances et en adoptant une « économie d’affinité ». Le nouveau gouvernement Trump semble plutôt se replier sur lui-même et privilégier une approche « America First » qui vise à contourner ou, du moins, qui risque de compliquer, les partenariats traditionnels.

Pour le Canada, la voie à suivre exige de la vigilance et un positionnement stratégique. Le Canada mise sur sa Stratégie sur les minéraux critiques pour tirer parti de ses vastes ressources afin de devenir un fournisseur mondial de choix, en particulier pour les États-Unis.

Mais si l’administration Trump impose des droits de douane élevés ou continue d’internaliser ses activités, le Canada pourrait être confronté à des vents contraires. Or, comme la mise en place d’une capacité nationale de production de minéraux critiques aux États-Unis s’avérerait complexe, Washington devra continuer de coopérer avec le Canada afin de combler les déficits d’approvisionnement à court et à moyen terme. En continuant à investir dans la valorisation des minéraux critiques, en favorisant les partenariats avec des alliés partageant les mêmes idées et en plaidant pour des chaînes d’approvisionnement nord-américaines stables, le Canada peut préserver ses intérêts économiques et conserver sa position de pilier dans la lutte contre la domination chinoise dans le domaine des minéraux critiques.

 

Image principale : Photographié le 29 juin 2017, lors de son premier mandat, Donald Trump prononce un discours au ministère de l’Énergie à Washington, D.C. Le premier jour de son second mandat, Trump a signé un décret intitulé Unleashing American Energy, qui prévoit une rationalisation du processus de délivrance des permis, un soutien fédéral aux projets nationaux de minéraux critiques, une évaluation des risques pour la sécurité nationale liés à la dépendance à l’égard des importations et un renforcement des capacités nationales. | Photo : Kevin Dietsch-Pool/Getty Images

Vina Nadjibulla

Vina gère les activités de recherche, d’éducation et de soutien au réseau de la FAP Canada. Elle supervise également les programmes de subventions et de bourses de recherche de la Fondation, ainsi que les projets de développement et de renforcement des capacités. Elle intervient fréquemment dans les médias pour commenter la géopolitique, la politique étrangère canadienne et les relations entre le Canada et l’Asie, en particulier l’Inde et la Chine.

En tant que spécialiste de la sécurité internationale et de la consolidation de la paix, Vina son expérience professionnelle s’étend sur plus de vingt ans dans les domaines de la diplomatie de haut niveau, de la défense des intérêts, de l’élaboration de politiques et de l’analyse des risques politiques.

Des zones de guerre aux salles de réunion, Vina a travaillé avec des gouvernements nationaux, des organisations à but non lucratif et des organisations philanthropiques au Canada, aux États-Unis, en Chine et dans un certain nombre de pays d’Afrique et d’Asie centrale.

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Xiaoting (Maya) Liu

Xiaoting (Maya) Liu est gestionnaire principale de programme, Chine, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'une maîtrise en affaires internationales de la School of International and Public Affairs (SIPA) de l'Université de Columbia.

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