Le premier ministre canadien Justin Trudeau vient d’annoncer un investissement de 2,4 G$ CA dans l’intelligence artificielle (IA). La majeure partie de cette somme sera consacrée à des investissements dans l’infrastructure informatique (« calcul »), nécessaire pour former les systèmes d’IA avancés d’aujourd'hui.
Les systèmes d’IA avancés (comme GPT-4) s’entraînent sur des trillions de textes, d’images et de données vidéo. Ce processus implique d’énormes quantités de calculs. Le Canada est à la traîne en matière d’informatique publique, loin derrière les États-Unis (qui représentent plus de la moitié de l’informatique mondiale), le Japon (10 %), la Chine (6 %) et tous les autres pays du G7, selon The Dais, un groupe de réflexion sur les politiques publiques de l’Université métropolitaine de Toronto.
La nouvelle enveloppe budgétaire vise à combler cette lacune. L’idée est d’acheter des capacités existantes à l’étranger à court terme et de développer des capacités nationales par le biais d’une « nouvelle Stratégie du Canada sur une puissance de calcul souveraine pour l’IA ». L’annonce ne précise pas comment seront répartis les 2 G$ CA, mais au moins pour les prochaines années, l’argent proviendra principalement de sources étrangères.
Cette démarche s’inscrit dans le contexte d’une course mondiale dynamique. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la France, l’Allemagne et de nombreux autres pays continuent d’investir massivement dans l’IA et dans leurs chaînes d’approvisionnement en IA. Cette semaine encore, le 9 avril, la Corée du Sud a annoncé un montant équivalent à 9,4 G$ CA de dépenses dans l’IA pour les trois prochaines années, principalement liées aux puces spécialisées requises pour le calcul.
Les chercheurs en IA veulent aller et rester là où ils peuvent avoir accès à des collaborateurs talentueux, aux données dont ils ont besoin et à des capacités de calcul suffisantes. Ainsi, la recherche en IA et les dernières avancées algorithmiques ont tendance à se regrouper dans les villes ayant accès aux talents, aux données et au calcul.
Sur le plan des talents et de l’expertise, la performance du Canada est supérieure à son poids économique. Les systèmes d’IA peuvent désormais accomplir des tâches complexes avec une compétence comparable à celle de l’homme. Voilà une évolution transformatrice rendue possible grâce à la recherche et à l’expertise canadiennes fondamentales. Le Canada a également développé et consolidé ses pôles de recherche et d’expertise dans ses grandes villes, en investissant plus tôt que d’autres dans le cadre de sa Stratégie pancanadienne en matière d’IA de 2017.
L’activité mondiale en matière d’IA est désormais concentrée dans les principales villes américaines et chinoises, ainsi qu’en France, en Inde, au Japon, en Corée du Sud, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, en plus du Canada. Compte tenu de la forte demande mondiale de talents et de l’offre limitée, l’accès à l’informatique devient encore plus important pour attirer et retenir les talents, d’autant plus que le Canada est voisin du siège des plus grandes entreprises technologiques du monde.
Si le calcul représente 2 G$ CA des 2,4 G$ CA de dépenses annoncées, le gouvernement fédéral a également dévoilé d’autres éléments, notamment ceux visant à stimuler l’adoption de l’IA par les entreprises et à lutter contre les préjudices liés à l’IA. Bien qu’il s’agisse d’éléments plus modestes en termes relatifs, la réalisation de ces deux objectifs est essentielle pour tirer pleinement parti de l’IA.
En effet, les avantages de l’IA dépendent de l’adoption généralisée par les entreprises et de la confiance du public. Malheureusement, les entreprises canadiennes sont à la traîne en matière d’adoption des technologies. En particulier, les premiers signes d’adoption de l’IA générative ne sont pas prometteurs : seulement 14 % des entreprises canadiennes utilisaient ou envisageaient d’utiliser l’IA générative au début de l’année 2024, selon Statistique Canada.
Si un plus grand nombre d'entreprises adoptent l’IA, le Canada pourrait réellement s'attaquer à son problème de productivité de longue date. Toutefois, même si l’annonce fait référence à un financement destiné à stimuler l’adoption de l’IA, il n’est pas clair, du moins pas encore, en quoi ce financement différerait des tentatives précédentes visant à accroître l’adoption de la technologie par les entreprises ou en quoi il les améliorerait.
En ce qui concerne la confiance du public, l’IA a un énorme potentiel d’amélioration de la vie, mais les systèmes d’IA présentent également des risques considérables que les dirigeants doivent prendre en compte si nous espérons bénéficier de ces avantages (des « deepfakes » ou hypertrucage aux biais, en passant par les pertes possibles d’emploi et la perte de contrôle).
Il reste encore beaucoup d’analyses et de recherches scientifiques, sociales et économiques à effectuer pour trouver les meilleurs moyens de remédier à ces inconvénients. L’annonce fédérale prévoit la création d’un nouvel institut pour la sécurité de l’IA dans le but d’atteindre cet objectif. Cette décision fait écho à des annonces similaires faites au cours des derniers mois par les États-Unis et le Royaume-Uni.
L’annonce consacre également certaines ressources au recyclage des compétences en raison des pertes d'emploi potentielles liées à l’IA, un domaine qui suscite de vives inquiétudes au sein de la population, mais de manière très limitée.
Cela semble en décalage avec les changements plus spectaculaires et généralisés que nous sommes susceptibles d’observer à mesure que l’IA devient plus performante et crée de nouvelles opportunités, remplace une partie du travail humain, et que la nature du travail lui-même change, les humains travaillant de plus en plus aux côtés de l’IA.