À retenir
Le 4 avril 2025, au terme d’une procédure judiciaire de 111 jours, la Cour constitutionnelle de Corée du Sud a confirmé à l’unanimité la destitution du président Yoon Suk-yeol, mettant immédiatement fin à son mandat. Cette décision historique fait suite à la déclaration controversée de la loi martiale par Yoon en décembre 2024, qui a mis fin à sa carrière politique et l’a exposé à des poursuites pénales potentielles. La destitution marque un changement profond dans la politique sud-coréenne et aura des conséquences importantes sur la stabilité économique et les relations internationales du pays.
En Bref
- La Cour constitutionnelle a examiné les cinq principaux chefs d’accusation portés contre Yoon par l’Assemblée nationale : la déclaration de la loi martiale, l’ordre de déploiement de l’armée et de la police contre le corps législatif, la promulgation de décrets de loi martiale, les perquisitions à la Commission électorale nationale et l’ordre d’arrestation de professionnels du droit. La Cour a finalement jugé ces cinq actions inconstitutionnelles, justifiant ainsi la destitution de Yoon. Toutefois, la décision de la Cour n’a pas porté sur les accusations d’insurrection, qui sont examinées séparément dans le cadre d’un procès pénal.
- Quelques heures après le verdict de destitution, Yoon a rencontré les dirigeants du Parti du pouvoir au peuple (PPP) à sa résidence, les exhortant à se préparer à la prochaine élection présidentielle, qui devrait se tenir le 3 juin 2025. Bien qu’il se soit excusé auprès de ses partisans et qu’il ait remercié les responsables du parti pour leurs efforts, il n’a pas officiellement reconnu la décision de la Cour.
- Lee Jae-myung, chef du Parti démocrate (PD), a salué cette décision qu’il considère comme un tournant pour la démocratie sud-coréenne, déclarant qu’« une vraie République de Corée commence aujourd’hui ». Lee, qui s’est présenté contre Yoon lors de l’élection présidentielle de 2022, sera probablement le candidat du DP lors de l’élection de juin, étant donné son statut de favori.
- Jusqu’à présent, la réaction du public à la décision de destitution est restée largement pacifique, aucun affrontement physique majeur n’ayant été signalé entre la police et les partisans de Yoon. Selon un sondage réalisé par Gallup Corée du 1er au 3 avril, 52 % des personnes interrogées sont favorables à un changement de gouvernement lors de la prochaine élection présidentielle, contre 37 % pour le PPP. Le DP a obtenu le taux d’approbation le plus élevé parmi les partis politiques : 41 %, contre 35 % pour le PPP.
- Les problèmes juridiques de Lee pourraient avoir une incidence sur la dynamique des élections : Lee Jae-myung, chef du DP, est également poursuivi pour avoir prétendument violé des lois électorales. Toutefois, on s’attend à ce qu’il se présente encore à la présidence. S’il est élu président, il peut prétendre à l’immunité en vertu de l’article 84 de la Constitution. Le PPP, quant à lui, n’a actuellement aucun candidat en tête.
- Des retombées judiciaires plus larges sont attendues : De hauts responsables du gouvernement et de l’armée, dont 17 généraux et 13 commandants de haut rang accusés d’avoir participé à la déclaration de la loi martiale, sont toujours poursuivis pour sédition. D’autres enquêtes et procès impliquant Yoon, l’ancienne première dame Kim Gun-hee et des conseillers sont imminents.
Les conséquences
La procédure de destitution montre que la culture politique de la Corée du Sud est toujours encline à la prise de décision du haut vers le bas et à l’utilisation du pouvoir de l’État à des fins partisanes. De nombreuses élites du pays ont intériorisé l’idée que le succès politique passe souvent par la neutralisation des opposants plutôt que par la négociation avec ces derniers. En outre, la présidence sud-coréenne reste très centralisée, le pouvoir étant détenu par l’organe exécutif.
La confiance du public dans la neutralité et l’intégrité des organes judiciaires et législatifs a été ébranlée. Si les institutions sud-coréennes ont largement tenu pendant les quatre mois d’instabilité politique, les controverses concernant la nomination des juges de la Cour constitutionnelle et la perception de leur partialité politique, ainsi que les problèmes d’équité des élections présidentielles et générales supervisées par la Commission électorale nationale, se sont accentuées et ont exacerbé la polarisation politique, qui était déjà élevée.
L’incertitude politique et le manque de leadership qui ont suivi l’imposition de la loi martiale par Yoon ont freiné les investissements étrangers et affaibli la confiance des consommateurs nationaux. En février 2025, la Banque de Corée a encore abaissé ses prévisions de croissance du PIB réel, qui sont passées de 1,9 % à 1,5 %. Au cours de la procédure de destitution, l’indice composite de confiance des consommateurs (CCSI) de la Corée du Sud est tombé à 93,4 en mars 2025, bien en dessous de la valeur de référence de 100, ce qui reflète le pessimisme croissant de l’opinion publique. La baisse de confiance des consommateurs a entraîné une diminution des dépenses des ménages, ce qui a accru la pression sur l’économie nationale.
Prochaines étapes
Incidence sur la politique étrangère, y compris les relations entre le Canada et la Corée : S’il est élu, Lee devrait donner la priorité à la réouverture du dialogue avec la Corée du Nord et renforcer les canaux diplomatiques avec la Chine et la Russie. Bien que Lee puisse tenter d’apaiser les électeurs de droite et de centre en mettant l’accent sur l’alliance de la Corée du Sud avec les États-Unis, il est probable qu’il reviendra sur le renforcement des liens avec le Japon en matière de sécurité qui s’est opéré sous la présidence de Yoon. En tant que partenaire clé de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, annoncée en 2022, la Corée du Sud a considérablement renforcé son partenariat avec le Canada dans les domaines du commerce, de la défense et du développement durable. Les dialogues généraux sur la sécurité économique, ainsi que la coopération bilatérale florissante sur les changements climatiques, la cybersécurité et les minéraux critiques sous l’administration de Yoon, pourraient se poursuivre ou se rajuster sous la nouvelle présidence dans les deux pays. Dans le cadre de la poursuite de son partenariat stratégique avec la Corée du Sud, Ottawa pourrait inviter le nouveau président à participer au Sommet du G7 à la mi-juin.