La tentative politique délibérée des puissances démocratiques dominantes de l’Asie de redéfinir la région asie-pacifique comme la région indo-pacifique constitue la plus importante transformation géopolitique de la dernière décennie dans cette région.
Bien plus qu’une simple question de sémantique, cette rectification de « noms » géographiques tient lieu de remaniement géospatial piloté par l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis, qui souhaitent reconnaître et approfondir les liens transrégionaux entre les zones des océans Indien et Pacifique et faire plus efficacement face à la montée de la Chine en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique.
De toute évidence, ces « États partisans » de la région indo-pacifique ont internalisé cette super-région à un point tel que sa logique géographique guide dorénavant leurs engagements respectifs en matière de politique, d’économie et de sécurité, en Asie et ailleurs.
Bien que l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis aient approché la région indo-pacifique sous différents angles stratégiques, ils ont tous adopté de nouvelles tactiques ou visions pangouvernementales pour atteindre leurs objectifs stratégiques dans cette région. Il existe des écarts marqués dans la façon dont chaque État partisan aborde sa stratégie indo-pacifique. Ces États partagent cependant tous une vision commune : ils tiennent à une région indo-pacifique « libre » et « ouverte », quelle que soit sa définition.
Comme c’est le cas pour toutes les grandes transformations stratégiques, les différents concepts de région indo-pacifique « libre » et « ouverte » prônés par la région indo-pacifique ou par les États partisans suscitent tous une certaine controverse. Les États asiatiques, particulièrement les petites et moyennes puissances de l’Asie, s’inquiètent de la marginalisation issue d’un élargissement géographique de la région indo-pacifique. Les États asiatiques développés se préoccupent également de la volonté apparente des États partisans de réinvestir en Afrique, estimant, à juste titre, que leurs propres débouchés économiques pourraient en souffrir.
La vision régionale largement partagée selon laquelle les concepts de région indo-pacifique « libre » et « ouverte » prônés par les États partisans représentent collectivement une sorte de coalition émergente antichinoise constitue toutefois l’exemple le plus frappant. Cette perception est particulièrement marquée à l’endroit du concept américain de région indo-pacifique « libre » et « ouverte », qui considère la Chine comme une « puissance révisionniste » que les États-Unis et leurs alliés et partenaires doivent réprimer.
Malgré ces controverses, le modèle géographique indo-pacifique a prouvé son bien-fondé auprès d’une multitude d’institutions et d’États qui revêtent une importance stratégique, et celui-ci s’avère prometteur pour la longévité du concept ainsi que l’inclusion et la stabilité régionales. L’ANASE, par exemple, a publié une déclaration commune sur la région indo-pacifique qui met en relief ses points positifs – comme l’intégration transrégionale – et évacue son « bagage », stratégique comme sa logique de confinement de la Chine. Au sein de l’ANASE, l’Indonésie a également élaboré une approche indo-pacifique qui repose sur l’inclusion et sur sa situation géographique, qui se trouve à égale distance des États-Unis et de la Chine. Parallèlement, la France et l’Allemagne ont présenté des stratégies indo-pacifiques qui soulignent l’importance de la coopération des puissances intermédiaires en ce qui a trait aux enjeux non traditionnels en matière de sécurité, comme les changements climatiques, la gouvernance régionale et la diversification des politiques étrangères.
Alors que les États partisans ont d’abord proposé un concept indo-pacifique plus conflictuel, ces « adaptateurs » indo-pacifiques ont esquissé une vision plus bénigne qui profite autant à Pékin qu’à Washington.
Pour le Canada – un pays qui n’a pas encore affirmé sa position sur la région indo-pacifique « libre » et « ouverte » –, la distinction entre les points de vue des partisans et des adaptateurs de la région indo-pacifique sur la super-région est cruciale.
Pendant que Canberra et Washington renforcent leur stratégie de confinement de la région indo-pacifique « libre » et « ouverte » et que l’Inde reste stratégiquement ambiguë quant à ses intentions, Ottawa doit plutôt se tourner vers les adaptateurs de la région indo-pacifique « libre » et « ouverte », qui pourraient comprendre le Japon, pour formuler sa propre approche régionale.
Au lieu d’harmoniser ses intérêts aux stratégies antichinoises justifiées par une région « libre » et « ouverte », Ottawa ferait mieux d’adopter le cadre indo-pacifique « diversifié », « inclusif » et « stable » des États adaptateurs, un cadre qui pourrait ensuite s’intégrer à une stratégie de diversification plus large en Asie.
Le nouveau rapport politique de la FAP Canada, intitulé Canada and the Indo-Pacific: 'Diverse’ and ‘Inclusive,’ Not ‘Free’ and ‘Open’, décrit ce qui est essentiellement devenu deux visions concurrentes de la région indo-pacifique et de la région indo-pacifique, à savoir une vision des États partisans fondée sur les notions de « liberté » et d’« ouverture » ainsi qu’une vision des États adaptateurs fondée sur la « diversification », « l’inclusion » et la « stabilité ».
Après avoir examiné chaque vision de la région indo-pacifique conformément aux intérêts nationaux du Canada en Asie, le Canada et la région indo-pacifique plaident pour une harmonisation plus étroite du Canada aux États adaptateurs. Le rapport se termine par des recommandations politiques spécifiques pour que le Canada parvienne à une large diversification en Asie grâce à une harmonisation normative à l’ANASE, à l’Indonésie, à la France et à l’Allemagne et grâce à une coopération multilatérale par le biais des institutions asiatiques existantes comme l’ANASE.