Le combat de Marcos Jr. et de Duterte pour orienter la politique étrangère des Philippines tandis que les élections de mi-mandat se profilent à l’horizon

Sara Duterte and Ferdinand Marcos Jr.
En des temps plus joyeux : Ferdinand Marcos Jr., avec la nouvelle vice-présidente Sara Duterte, posant pour des photos après avoir prêté serment en tant que prochain président, au National Museum of Fine Arts le 30 juin 2022 à Manille, Philippines. | Photo : Ezra Acayan/Getty Images

Les Philippines, qui sont aux premières lignes de l’influence grandissante de la Chine en Asie du Sud-Est, sont le principal partenaire régional du Canada pour défendre le droit international et l’ordre fondé sur des règles. Tandis que dans la mer de Chine méridionale, les tensions s’aggravent entre Manille et Beijing, le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a renforcé les liens de Manille avec Washington. Il a également accru la participation des Philippines aux partenariats menés par les États-Unis et visant à consolider les opérations militaires et maritimes communes afin de contrer la détermination croissante de Beijing dans la mer de Chine méridionale. Le 7 mars 2025, Ottawa et Manille ont conclu les négociations concernant l’accord sur le statut des forces armées de pays étrangers entre le Canada et les Philippines, un pacte de défense conçu pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays par le biais d’entraînements et d’exercices de combat en commun.

Malgré sa popularité en Occident, notamment au Canada, le président Marcos Jr. est confronté à des difficultés politiques intérieures. L’incapacité de son administration à remédier à la hausse du coût de la vie se reflète dans l’affaiblissement du soutien de la population envers le président, la cote de confiance de Marcos Jr. étant passée de 45 à 30 % entre septembre 2024 et février 2025. L’effritement du soutien intérieur a coïncidé avec des tensions accrues entre le président et la vice-présidente aujourd’hui destituée, Sara Duterte, la fille de son prédécesseur Rodrigo Duterte (2016-2022).

Le différend s’est aggravé à l’approche des élections de mi-mandat du 12 mai, lors desquelles des membres des clans Marcos et Duterte se disputeront des postes clés. Ces élections détermineront l’attribution de plus de 18 200 postes gouvernementaux, y compris 12 des 14 sièges du Sénat et les 317 sièges de la Chambre des représentants, qui jouent un rôle clé dans l’orientation politique du pays.

À trois ans de la fin du mandat présidentiel, les élections de mi-mandat feront office d’« épreuve décisive » pour la popularité des politiques de Marcos Jr., notamment sa réponse plus proactive aux incursions en cours dans la mer de Chine méridionale. Des candidats qui obtiennent de bons scores aux élections de mi-mandat sont également susceptibles de bénéficier d’une visibilité et de ressources politiques accrues, ce qui augmente leurs chances dans la course à la présidence de 2028. Par conséquent, les élections de mi-mandat seront un aperçu du « paysage politique probable de la compétition » pour les élections présidentielles.

Pour Duterte, les élections de mi-mandat seront une occasion vitale de consolider son soutien en vue d’une potentielle candidature présidentielle en 2028. S’assurer de l’élection de sénateurs pro-Duterte est donc particulièrement important pour la vice-présidente, qui reste en fonction en attendant son procès en destitution. Duterte fait l’objet de multiples allégations, notamment d’utilisation abusive de fonds gouvernementaux, d’inaction face à l’agression de la Chine dans la mer de Chine méridionale et de participation au complot visant à assassiner le président et sa famille. Une condamnation l’empêcherait d’exercer de futurs mandats et mettrait fin à toute ambition présidentielle.

L’arrestation de Rodrigo Duterte le 11 mars à Manille – à la suite de la délivrance, par la Cour pénale internationale, d’un mandat pour crimes contre l’humanité – a encore intensifié les enjeux politiques pour la famille Duterte. Il est probable que les opposants à Duterte se servent de l’enquête de la CPI pour affaiblir sa crédibilité. Toutefois, en ce qui concerne l’arrestation de l’ancien président, l’opinion publique reste profondément divisée. Les défenseurs des droits de la personne et les familles des victimes ont salué l’arrestation, les proches en deuil des victimes se rassemblant en signe de solidarité. En revanche, des manifestations pro-Duterte ont balayé les Philippines du Sud, donnant notamment lieu à un rassemblement pour la prière attirant plus de 4 000 partisans. Pour Sara Duterte, dont le procès est prévu après les élections de mi-mandat, l’arrestation de son père est devenue un autre point de ralliement afin de consolider son soutien et de renforcer sa défense.

Pour les alliés des Philippines, notamment le Canada, le résultat de ces élections aidera à estimer l’orientation future de la politique étrangère des Philippines et à dessiner le paysage politique menant aux élections de 2028. Si Marcos Jr. renforce son soutien intérieur, il est probable qu’il maintiendrait – et pourrait même intensifier – sa coopération avec les États-Unis et d’autres alliés tels que l’Australie, le Japon et la Corée du Sud, afin de contrer la détermination croissante de Beijing dans la mer de Chine méridionale. Si les Duterte et leurs alliés parviennent à mobiliser un soutien accru et à maintenir leur élan politique jusqu’aux élections de 2028, cela pourrait ouvrir la voie à un second mandat présidentiel pour les Duterte et à un potentiel retour vers la Chine.

Politique étrangère : des visions en opposition

Tandis que l’administration Duterte a éloigné les Philippines des États-Unis et les a rapprochées de la Chine, Marcos Jr. a réaligné le pays avec Washington et a souscrit à des accords maritimes « minilatéraux » visant à contrer les actions coercitives de la Chine dans les eaux contestées entourant les Philippines et à renforcer un ordre international fondé sur des règles. En 2024, Manille a rejoint le « Squad », une coalition quadrilatérale informelle composée de l’Australie, du Japon et des États-Unis. D’autres partenariats bilatéraux ont également été établis dans les domaines maritime et de la défense, notamment un accord informel sur les forces armées de pays étrangers avec le Japon, un soutien de modernisation militaire de la part de la Corée du Sud et un accord à venir avec le Vietnam (autre État demandeur dans la mer de Chine méridionale) axé sur l’intervention en cas de catastrophe et les initiatives maritimes collaboratives.

La position plus offensive de Marcos Jr., qui consiste à faire face à l’agression de la Chine, a été bien accueillie par la population philippine. Selon un sondage de mars 2024, 73 % des Philippins soutiennent le renforcement des revendications territoriales des Philippines par le biais de mesures militaires additionnelles dans la mer des Philippines occidentales. L’appui de la population pour le déploiement accru de troupes et de patrouilles maritimes des Philippines, en réponse aux incursions en augmentation dans les eaux contestées, a également augmenté de concert avec la montée d’un sentiment anti-Chine parmi les Philippins. Entre octobre 2022 et mars 2024, le pourcentage des Philippins considérant la Chine comme la plus grande menace pour les Philippines est passé de 59 à 76 %.

Ce sentiment anti-Chine a façonné les préférences des électeurs pour les élections de mi-mandat à venir : plus de 70 % des Philippins se sont déclarés peu enclins à soutenir un candidat pro-Chine. Un sondage pré-élection portant sur les préférences de vote a indiqué que neuf des douze sièges du Sénat disputés devraient être gagnés par des candidats soutenus par Marcos Jr., que les électeurs associent largement à la poursuite de la position ferme de l’administration contre la Chine. En revanche, seulement un ou deux des candidats ralliés à Duterte et à ses politiques pro-Chine devraient obtenir des sièges.

Toutefois, les électeurs peuvent très bien voter en fonction des problèmes économiques, pour lesquels Marcos Jr. a obtenu des résultats mitigés. La lutte contre un chômage élevé, l’amélioration des soins de santé et un accès élargi à l’éducation figurent parmi les principaux enjeux. Le président doit également se concentrer sur la lutte contre l’inflation et l’augmentation du coût de la vie, les deux s’étant aggravées sous sa direction. Par exemple, au cours des trois dernières années, le coût des biens et services a augmenté de plus de 10 %, l’inflation s’étant stabilisée autour de 2 % en février 2025. En dépit de la baisse de l’inflation tout au long du mandat de Marcos Jr., près des deux tiers des citoyens disent encore que son administration n’a pas réussi à contrôler de manière efficace l’augmentation des coûts.

L’incertitude entourant les tendances de Duterte en matière de politique étrangère

En dépit de sa destitution par la chambre basse du pays et de son conflit constant avec le président, Duterte a réussi à se constituer une base de soutien conséquente. En mars 2025, 29 % des participants au sondage ont déclaré qu’ils voteraient pour faire de Duterte la nouvelle présidente, la plaçant bien en avant des deux autres candidats de tête.

Par ailleurs, la décision du Sénat de repousser son procès en destitution jusqu’après les élections de mi-mandat pourrait jouer en sa faveur. Pour être acquittée, la vice-présidente aurait besoin qu’au moins 8 des 24 sénateurs votent en sa faveur. Le report de son procès en destitution et l’arrestation par la CPI de Rodrigo Duterte pourraient permettre à la vice-présidente de mobiliser un soutien plus important de la part des candidats au Sénat pro-Duterte, et potentiellement acquérir une influence suffisante pour éviter la condamnation.

Si la vice-présidente est acquittée lors de son procès en destitution, ses préférences politiques – en particulier celles concernant la Chine – seront examinées avec une plus grande attention, surtout si elle émerge de ces poursuites en meilleure position pour poursuivre ses ambitions présidentielles. Jusqu’à présent, elle est restée muette sur la manière dont elle aborderait la Chine et l’aggravation des conflits dans la mer de Chine méridionale, une question qui est devenue l’une des accusations de sa destitution. Certains ont interprété le silence relatif de Duterte à ce sujet comme une possible indication de ses tentatives pour améliorer les relations avec Beijing. En août 2024, elle a mis en garde contre le fait de définir les relations entre Beijing et Manille uniquement en termes de différends maritimes, insistant sur le besoin d’une « approche complète » fondée sur « des intérêts partagés et une stabilité régionale. » Elle aurait aussi soi-disant critiqué la gestion des incursions maritimes par le gouvernement actuel, la qualifiant de « fiasco »

Maintien de la coopération avec Manille dans un contexte politique agité

Avec l’adoption, par le président des États-Unis Donald Trump, du slogan « America First » (L’Amérique d’abord) et son désintérêt croissant pour l’Asie du Sud-Est, le Canada pourrait choisir d’adopter un rôle plus proactif dans le soutien de ses partenaires régionaux dans le cadre du maintien d’un ordre international fondé sur des règles. L’accord sur le statut des forces armées de pays étrangers nouvellement conclu souligne l’engagement d’Ottawa envers les Philippines, renforçant la coopération militaire ainsi que la coopération en matière de défense entre les deux pays.

Tout en surveillant de près les résultats des élections de mi-mandat aux Philippines et les constantes luttes de pouvoir entre ses dynasties politiques, Ottawa aura besoin de rester engagée dans son soutien des Philippines en protégeant ses droits maritimes contre la détermination croissante de Beijing dans la mer de Chine méridionale. Non seulement cette approche proactive promouvrait une stabilité à long terme et renforcerait la confiance mutuelle, mais elle contribuerait aussi à solidifier la position du Canada en tant que partenaire de confiance pour les autres nations d’Asie du Sud-Est confrontées à l’influence grandissante de Beijing dans la région.

• Édition par Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie, FAP Canada; et Ted Fraser, rédacteur principal, FAP Canada.

Sasha Lee

Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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