Le nouveau président indonésien s'annonce plus pragmatique en politique étrangère

Indonesian president Prabowo Subianto
Prabowo Subianto présidant la cérémonie d'assermentation de son cabinet de ministres au palais présidentiel à Jakarta le 21 octobre 2024. | Photo : Bay Ismoyo/AFP via Getty Images

Conclusions Principales

Prabowo Subianto a été investi huitième président de l'Indonésie le 20 octobre 2024, succédant à Joko Widodo (Jokowi). Prabowo, qui a occupé le poste de ministre de la Défense de 2019 à 2024, a souligné son engagement envers une politique étrangère indonésienne "libre et active", axée sur le non-alignement et l'autonomie stratégique. Des signes indiquent que Prabowo adopterait une approche plus "pragmatique" en matière de politique étrangère que son prédécesseur Jokowi, dont les politiques étaient davantage centrées sur les enjeux intérieurs.

Bien qu'il soit attendu de Prabowo qu'il renforce l'unité au sein de l'ASEAN, il devrait néanmoins réaffirmer la position du bloc concernant la non-ingérence dans les enjeux régionaux, tels que les litiges en mer de Chine méridionale et la guerre civile en Birmanie.

Son administration vise également à atteindre un équilibre dans les relations avec les grandes puissances, notamment la Chine, la Russie et les États-Unis.

En Bref

  • Prabowo a nommé son proche ami Sugiono, ancien lieutenant de l'armée indonésienne, comme ministre des Affaires étrangères. Bien que Sugiono possède une expérience en affaires législatives, son manque d'expérience diplomatique formelle suscite des critiques. Certains craignent qu'il ne soit qu'un "bureaucrate de façade", permettant à Prabowo de contrôler directement la politique étrangère.

  • Contrairement à son prédécesseur, Prabowo devrait adopter une approche proactive en matière d'affaires internationales, poursuivant la politique étrangère "libre et active" caractéristique de l'Indonésie. Cette approche, illustrée par le maintien de liens étroits avec les États-Unis et la Chine, repose sur le principe de non-alignement avec les grandes puissances et priorise les intérêts nationaux.  Elle vise à garantir l'autonomie stratégique et à promouvoir une participation active dans la diplomatie mondiale.

  • En septembre 2024, en sa qualité de ministre de la Défense, Prabowo a effectué une tournée en Asie du Sud-Est,, visitant des partenaires clés tels que les Philippines, la Thaïlande et la Malaisie (qui présidera l'ANASE en 2025). L'objectif était d'affirmer la solidarité de l'Indonésie et de positionner le pays comme un leader régional au sein de l’ANASE.

Implications

L'Indonésie, sous la gouvernance de Prabowo, adoptera probablement l'approche pragmatique de l'ASEAN vis-à-vis de la Birmanie. Prabowo a constamment souligné le principe de non-ingérence, affirmant que l'organisation ne peut que soutenir la Birmanie dans l'élaboration de ses propres solutions de paix. Il a également exhorté la junte militaire à mettre en œuvre le Consensus en cinq points de l'ANASE (5PC), qui appelle à une cessation immédiate de la violence et à des dialogues de paix inclusifs entre les forces armées, le gouvernement en exil et les groupes de la société civile. Bien que les progrès dans la mise en œuvre du 5PC aient été lents, le bloc de l'ANASE a récemment réaffirmé son engagement envers ce plan.

Prabowo devrait maintenir une approche passive envers les activités de la Chine dans les zones maritimes indonésiennes. Bien que l'Indonésie ne soit pas un pays revendicateur dans le litige de la mer de Chine méridionale, des navires chinois ont été  observés circulant à l'intérieur de la zone économique exclusive indonésienne dans la mer des Natuna, une zone revendiquée par Beijing. Le 24 octobre 2024, la garde côtière indonésienne a forcé un bateau de patrouille chinois à se retirer de ses zones maritimes, la deuxième occurrence en une semaine. Traditionnellement, l'Indonésie a maintenu une position non confrontationnelle  envers les revendications continues de la Chine sur la mer des Natuna du Nord, craignant de contrarier Pékin, son partenaire commercial le plus important. Bien que Prabowo soit déterminé à maintenir cette approche de minimisation des litiges maritimes, il continuera de renforcer les capacités militaires et maritimes de l'Indonésie à travers le plan de Force Essentielle Minimale (MEF) en concentrant ses efforts sur la modernisation de la flotte navale.

Les liens sécuritaires avec les États-Unis devraient conserver leur importance, tout en s'équilibrant avec les relations croissantes avec la Chine. En tant que ministre de la Défense, Prabowo a renforcé la coopération entre les États-Unis et l'Indonésie en matière militaire et de sécurité maritime. L'Indonésie utilise ces liens sécuritaires étroits avec les États-Unis comme contrepoids pour équilibrer l'influence croissante de la Chine dans la région. En août 2024, l'Indonésie et les États-Unis ont organisé leur exercice militaire annuel, le Super Garuda Shielden collaboration de avec plusieurs puissances occidentales, y compris le Canada. En mai 2024, Washington et Jakarta ont également tenu la 30e manœuvre commune de CARAT (Coopération dans la préparation et l'entraînement maritime), améliorant ainsi les capacités de réponse maritimes de l'Indonésie face aux revendications territoriales chinoises persistantes.

Entre-temps, la Chine est le partenaire économique et l'investisseur le plus important de l'Indonésie, avec des échanges commerciaux bilatéraux atteignant 176,1 milliards de dollars canadiens en 2023. Les investissements directs étrangers chinois se chiffrent à 10,3 milliards de dollars canadiens. Avec Prabowo visant un taux de croissance annuel de 8 % durant ses trois premières années, les relations commerciales avec la Chine devraient être renforcées. Prabowo s'est engagé à accroître les initiatives concernant les minéraux critiques lancées par son prédécesseur, en promouvant les chaînes d'approvisionnement internes pour les véhicules électriques et en renforçant le traitement local des minéraux critiques afin d'attirer davantage d'investissements chinois. Ces efforts devraient dynamiser les investissements chinois en Indonésie, qui s'élèvent actuellement à 41,6 milliards de dollars canadiens. Entre 2003 et 2019, les entreprises canadiennes ont investi plus de 900 millions de dollars canadiens dans le secteur de l’exploitation minière en Indonésie. 

Ce qui s'ensuit

1. Occasions pour consolider les relations diplomatiques et commerciales entre le Canada et l'Indonésie

Dans le cadre de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, Ottawa a nommé Paul Thoppil, ancien sous-ministre adjoint au sein d’Affaires mondiales Canada, comme son premier représentant en Asie-Pacifique, basé à Jakarta. Cette nomination vise à renforcer les liens commerciaux et diplomatiques entre le Canada et l’Indonésie. Une mission commerciale canadienne en Indonésie est prévue pour décembre 2024 afin d'élargir l'accès aux marchés régionaux.

En 2022, l'échange commercial de produits entre le Canada et l'Indonésie a atteint 6,24 milliards de dollars canadiens. L’Accord de partenariat économique global (APEG) entre le Canada et l’Indonésie devrait être finalisé d'ici la fin de 2024, tandis que l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’ANASE est prévu pour être conclu d'ici 2025.

En septembre 2024, l'Indonésie a exprimé son souhait de rejoindre  l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). De plus, le Canada assure la présidence de la commission du PTPGP en 2024. Bien que Prabowo n’ait pas encore formellement soutenu  cette transition, l'accord s’aligne avec ses objectifs économiques en favorisant les exportations indonésiennes, en attirant des investissements étrangers et en facilitant l'accès aux marchés.

Tandis que Prabowo cherche à améliorer le rôle de l’Indonésie au sein de l’ANASE, il pourrait également plaider pour une plus grande inclusion de pays comme le Canada dans les forums multilatéraux de l'ANASE.  Il a précédemment suggéré d'élargir la participation à la réunion des ministres de la Défense de l’ANASE Plus, une initiative à laquelle le Canada a manifesté son intérêt.

Hema Nadarajah

Hema Nadarajah, Ph.D., est gestionnaire de programme, Asie du Sud-Est, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en relations internationales de la University of British Columbia, où elle a effectué des recherches sur la gouvernance dans l'Arctique, le changement climatique et l'espace extra-atmosphérique. Mme Nadarajah est conseillère auprès du WWF et a travaillé auparavant pour le gouvernement de Singapour sur des questions de conservation de la biodiversité internationale et de changement climatique.

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Alberto Iskandar

Alberto Iskandar est chercheur-boursier à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Il a obtenu son diplôme de grade de premier cycle à l’Université Simon Fraser, avec une spécialisation en sciences politiques et une mineure en études internationales, et a été diplômé en 2021. Ses recherches portent sur le multilatéralisme en Asie du Sud-Est et dans l’ANASE, le développement durable et les questions liées à la sécurité et à la défense en Asie du Sud-Est. Il a précédemment travaillé en tant que chercheur fonctionnaire à la Communauté de politique étrangère d’Indonésie (Foreign Policy Community of Indonesia).

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Sasha Lee

Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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