Le nouveau président gauchiste du Sri Lanka annonce un changement politique radical

Sri Lanka’s president-elect Anura Kumara Dissanayake

À retenir

L’élection présidentielle qui s’est déroulée les 21 et 22 septembre au Sri Lanka a marqué un changement important par rapport aux dynasties politiques bien ancrées dans le pays. L’élection d’Anura Kumara Dissanayake, chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), témoigne d’une volonté de changement dans un contexte de crise économique persistante. M. Dissanayake a promis une revitalisation de l’économie, ce qui ouvre des perspectives au Canada et à d’autres partenaires de la région indo-pacifique.

Toutefois, son approche de la politique étrangère, en particulier ses tentatives d’équilibrer les relations avec l’Inde et la Chine, sera déterminante. Le nouveau président devra surmonter certains obstacles pour relancer l’économie et favoriser la réconciliation avec les communautés minoritaires.

En bref

  • M. Dissanayake a été élu au sein d’une coalition appelée Pouvoir populaire national, qui, bien que d’orientation gauchiste, tempère toujours les positions marxistes extrémistes du JVP et séduit les électeurs par son programme de lutte contre la corruption et sa volonté de redresser les classes défavorisées.

  • Il a remporté le scrutin avec 44 % des voix, battant le candidat de centre-gauche, Sajith Premadasa, qui a obtenu 34 % des voix. L’élection a fait l’objet d’un second tour, aucun des deux candidats n’ayant atteint le seuil initial de 50 % des voix plus une.

  • Le taux de participation a été de 76 %, ce qui est inférieur au taux de 83 % enregistré lors de l’élection précédente en 2019, mais reflète tout de même un fort engagement de la population.

  • M. Dissanayake s’est engagé à renégocier le plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI), d’un montant de 2,9 milliards $ US, qui avait été initialement établi en mars 2023 après une pénurie de devises étrangères qui avait entraîné une inflation paralysante et des manifestations de grande ampleur en 2022.

  • Les résultats des élections révèlent un profond clivage entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule et musulmane du Sri Lanka, M. Dissanayake dominant les régions à majorité cinghalaise et M. Premadasa obtenant de bons résultats dans les districts à majorité tamoule.

Les conséquences

Les promesses de campagne sur l’économie risquent d’être difficiles à tenir. Si les promesses populistes de M. Dissanayake de s’attaquer à la corruption, de renégocier le plan de sauvetage du FMI et de réformer les institutions de l’État ont touché une corde sensible chez les électeurs désabusés par l’élite politique, sa capacité à tenir ces promesses reste précaire. Ses projets de réduire l’impôt sur le revenu, qui a doublé sous le gouvernement précédent, et de diminuer les taxes de vente sur les produits de première nécessité, tels que les aliments et les médicaments, pourraient retarder la mise à disposition des fonds indispensables et compliquer les efforts de restructuration de la dette. La dissolution du parlement le 24 septembre et la convocation d’élections anticipées le 14 novembre (près d’un an avant la date prévue) pourraient également entraver la reprise économique. Avec un soutien politique limité et l’incertitude entourant les accords avec les détenteurs d’obligations, le calendrier de mise en œuvre des réformes reste flou. Néanmoins, le FMI a exprimé sa volonté de travailler avec M. Dissanayake.

Dissanayake photo
Le président élu du Sri Lanka, Anura Kumara Dissanayake (au centre), quitte le bureau de la Commission électorale à Colombo le 22 septembre 2024, après sa victoire à l’élection présidentielle. | Photo : Ishara S. Kodikara/AFP gracieuseté de Getty Images

Les résultats se feront sentir dans toute la région. Le gouvernement de M. Dissanayake est appelé à remodeler la politique étrangère du Sri Lanka, notamment ses liens complexes avec l’Inde et la Chine. Généralement considérée comme favorable à la Chine, l’administration de M. Dissanayake pourrait attirer de nouveaux investissements chinois. Beijing a déjà exprimé son intérêt à collaborer au développement et à l’initiative « La Ceinture et la Route » après l’assermentation du nouveau président.

Cependant, l’héritage douloureux au Sri Lanka des prêts exorbitants de la Chine – le plus grand prêteur bilatéral à Colombo – a transformé ces promesses de financement en avertissement. Alors que l’Inde a pu gagner en influence sous le précédent gouvernement, grâce à une aide de 4 milliards $ US à la suite de la crise économique de 2022, M. Dissanayake a ouvertement critiqué l’implication de l’Inde dans les projets d’infrastructure du Sri Lanka. En outre, il a rejeté les suggestions visant à déléguer le pouvoir aux régions à majorité tamoule, s’alignant ainsi sur les sentiments nationalistes qui sont méfiants à l’égard de l’Inde.

Alors que les administrations antérieures oscillaient entre des positions pro-Chine et pro-Inde, M. Dissanayake a fait part de sa volonté de donner la priorité aux « intérêts primordiaux » du Sri Lanka plutôt qu’aux influences étrangères. Cette approche pragmatique pourrait l’amener à rechercher une certaine neutralité.

Prochaines étapes

1. Combler le fossé ethnique

M. Dissanayake devra surmonter le délicat fossé ethnique entre la majorité cinghalaise et les populations minoritaires tamoules et musulmanes, ce qui demeure un enjeu majeur dans le paysage politique fracturé du Sri Lanka. Traditionnellement, les Tamouls se sont ralliés à certains partis représentant leurs intérêts dans le Nord et l’Est du Sri Lanka, mais aujourd’hui, les électeurs tamouls manifestent une allégeance de plus en plus fragmentée entre diverses factions qui prétendent répondre à leurs préoccupations. Bien que M. Dissanayake ait bénéficié d’un soutien limité dans les régions à majorité tamoule, ces dernières élections semblent avoir été marquées par des enjeux économiques plutôt que par des considérations ethniques. Toutefois, l’animosité historique découlant de la position anti-tamoule du JVP complique la voie de la réconciliation.

2. Possibilités d’engagement du Canada

Pour le Canada, qui privilégie le développement, la promotion de la démocratie et l’investissement durable dans la région indo-pacifique, la transformation politique du Sri Lanka présente des possibilités intéressantes, bien qu’elle s’inscrive dans une toile de fond complexe. M. Dissanayake a activement rallié le soutien de la diaspora sri-lankaise, en particulier au Canada, où résident quelque 200 000 personnes originaires du Sri Lanka. Il a récemment rencontré le haut-commissaire canadien Eric Walsh à Colombo et, en mars 2024, des rassemblements ont eu lieu à Toronto et à Vancouver afin de sensibiliser la communauté à sa vision de l’unification des diverses cultures du Sri Lanka. Alors que M. Dissanayake navigue entre les réformes économiques internes et la réévaluation potentielle des partenariats internationaux, les entreprises canadiennes pourraient trouver des débouchés dans des secteurs tels que les énergies renouvelables et les infrastructures.

Toutefois, en 2023, Ottawa a sanctionné quatre hauts responsables sri-lankais pour des violations présumées des droits de la personne pendant la guerre civile, dont deux anciens présidents et deux officiers militaires, ce qui a incité Colombo à accuser le Canada de se plier aux politiques de la diaspora tamoule. Ces sanctions, considérées par certains responsables sri-lankais comme une atteinte à la souveraineté et un obstacle potentiel à la réconciliation d’après-guerre, soulignent le caractère sensible des questions ethniques dans les relations bilatérales. La forte diaspora tamoule du Canada suivra de près la manière dont M. Dissanayake abordera la question de la réconciliation ethnique et politique, une tâche essentielle compte tenu de l’héritage de la guerre civile de 26 ans qui s’est achevée en 2009 et de l’appel à la responsabilité lancé dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique 2022 au sujet des violations des droits de la personne commises au cours de cette période.

Suyesha Dutta

Suyesha Dutta est chercheuse-boursière au sein de l'équipe Asie du Sud de la Fondation Asie Pacifique. Elle a obtenu une maîtrise en Études modernes de l'Asie du Sud à l'Université d'Oxford et une licence à l'Université de Colombie britannique, avec une double spécialisation en Histoire et en Études européennes modernes. Ses recherches portent sur la violence étatique et la mobilisation politique dans l'Inde postcoloniale.

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