L’inauguration d’un temple fait monter la cote du parti au pouvoir à l’approche des élections nationales en Inde

People in India attend inauguration of Ram temple in Uttar Pradesh

Le 22 janvier, le premier ministre indien Narendra Modi, accompagné de personnalités du monde des affaires, de célébrités et de stars du sport, a consacré un temple monumental à la divinité hindoue Ram dans la ville d’Ayodhya, dans l’Uttar Pradesh. Ce faisant, Modi a tenu une promesse politique vieille de plusieurs décennies à l’égard des hindous du pays, qui représentent environ 80 % de la population indienne.

Cette promesse a contribué à propulser le Bharatiya Janata Party (BJP), parti au pouvoir de Modi, sur le devant de la scène nationale dans les années 1990 et à renforcer son attrait populaire auprès de la population hindoue. La grande fanfare autour de l’inauguration du temple de Ram est un signe de la consolidation de cet attrait par le BJP. Mais c’est aussi le signe que l’engagement du pays en faveur d’une éthique laïque, telle qu’elle est inscrite dans sa constitution, va continuer à se dégrader.

L’Inde est la plus grande démocratie du monde et une puissance économique en pleine expansion. Elle est également de plus en plus présentée comme une « nation hindoue » plutôt que comme une société multiculturelle et pluraliste. Face à cette évolution, des pays comme le Canada, qui, par le passé, ont mis l’accent sur le multiculturalisme de l’Inde en tant que valeur commune, pourraient être amenés à redéfinir leurs relations avec l'Inde autour d’un ensemble différent de valeurs et d’intérêts.

La question du temple de Ram trouve également un écho profond chez de nombreux hindous du Canada, qui représentent 2,3 % de la population canadienne. Les communautés hindoues de la diaspora d’origine indienne au Canada ont accueilli la construction du temple de Ram à Ayodhya par de vibrantes célébrations. De nombreux membres de ces communautés ont également exprimé leur soutien à Modi et à l’idéologie nationaliste hindoue de son parti. Cette situation a accentué les divisions au sein des diverses communautés indo-canadiennes du Canada, dont certaines pratiquent des religions autres que l’hindouisme.

Temple-lieu

 

Le temple de Ram et l’histoire des conflits religieux

Le nouveau temple est situé sur le lieu de naissance supposé de Ram. Il s’agit également d’un terrain qui divise la politique indienne depuis plusieurs générations. Avant 1992, ce terrain abritait une mosquée, la Babri Masjid, construite au XVIe siècle par l’empereur moghol Babur. Mais au début des années 1990, le Sangh Parivar, un terme générique désignant une famille d’organisations nationalistes hindoues de droite, y compris son bras politique, le BJP, a mené un mouvement national visant à remplacer la Babri Masjid par un temple consacré à Ram. Ce mouvement était fondé sur la croyance que la mosquée avait été construite après que l’empereur eut démoli un ancien temple marquant le lieu de naissance de la divinité hindoue. 

Le 6 décembre 1992, alors que le mouvement pour la construction d’un temple de Ram prenait de l’ampleur, une foule d’environ 75 000 personnes soutenant la campagne du Sangh a escaladé et aplati les trois dômes de la mosquée à l’aide de marteaux et de tiges, au même moment où se tenait un rassemblement en faveur d’un futur temple hindou. Il s’en est suivi des mois de violences communautaires généralisées entre hindous et musulmans, qui ont fait au moins 2 000 morts. Les auteurs du crime de démolition de la mosquée ont échappé à toute sanction ; en 2020, un tribunal spécial a acquitté les 32 accusés, invoquant l’insuffisance des preuves. Un an plus tôt, en 2019, la Cour suprême de l’Inde a attribué le terrain à un trust pour la construction du temple de Ram. Les musulmans se sont vu proposer un autre emplacement, situé à plusieurs kilomètres de là, pour la construction d’une mosquée.

Un nouveau temple lié à l’ascension fulgurante du BJP

La construction du temple de Ram à Ayodhya est devenue un élément clé du manifeste du BJP juste avant les élections nationales de 1991. Cette démarche s’inscrit dans le contexte du lancement, par les dirigeants du parti, d’un rath yatra (c’est-à-dire d’un « voyage en char ») à travers le pays jusqu’à Ayodhya en 1990. Même si des incidents de violence communautaire ont été signalés au cours des mois qui ont suivi la yatra, les experts estiment que la mobilisation du parti autour de cette question a été déterminante pour l’aider à sortir d’une relative obscurité dans les années 1980 et à devenir le poids lourd électoral qu’il est aujourd’hui.  

Ram temple image
Des fidèles font la queue pour admirer une statue du dieu hindou Ram au lendemain d'une cérémonie de consécration du temple Ram Mandir, le 23 janvier 2024, à Ayodhya, en Inde.. | Photo : Ritesh Shukla/Getty Images.

En 1984, la première année où le BJP a participé à des élections nationales, il n’a obtenu que 7,4 % des voix et deux sièges au parlement. Cependant, lors des élections de 1991, il est devenu le deuxième parti du pays, avec 20,1 % des suffrages exprimés et 120 sièges parlementaires, un niveau de soutien qu’il a maintenu lors des élections nationales suivantes.

La part de voix du BJP a grimpé à 31 % lors des élections de 2014, l’année où Narendra Modi est devenu premier ministre. Lors des élections de 2019, le soutien du parti a encore augmenté, atteignant 37,4 % des voix, et il a remporté 303 sièges sur les 543 membres de la Lok Sabha, la chambre basse du parlement indien. Ces succès électoraux impressionnants au cours de la dernière décennie ont renforcé le mandat perçu par le BJP pour tenir les principales promesses qu’il a faites depuis les années 1990. Outre la construction du temple de Ram à Ayodhya, ces promesses sont les suivantes :

  • L’abrogation du statut spécial de l’article 370 de la Constitution indienne pour l’État à majorité musulmane du Jammu-et-Cachemire, que le gouvernement Modi a mise en œuvre en 2019.
  • La création d’un « code civil uniforme » qui applique un ensemble universel de lois régissant le mariage, l’héritage et d’autres questions pour toutes les communautés religieuses. Ce nouveau code civil, dont le projet n’a toujours pas été publié par le BJP, privera les groupes minoritaires de l’autonomie dont ils jouissent actuellement pour décider de leurs lois « personnelles ».  

Pour le mouvement nationaliste hindou, ces objectifs sont essentiels pour renverser ce qu’il appelle les politiques « d’apaisement des minorités » adoptées par le parti d’opposition, le Parti du Congrès, lorsqu’il était au pouvoir entre 1947 et 1989, avec une brève interruption entre 1977 et 1980.

La cérémonie d’inauguration du temple de Ram, le 22 janvier, quelques mois seulement avant les prochaines élections nationales d’avril-mai, a ravivé les questions relatives au statut des minorités religieuses et ethniques dans un pays dont l’engagement en faveur de la laïcité est inscrit dans sa constitution. Cependant, une grande partie de la population indienne a salué la construction du temple, y compris les Indiens vivant au Canada et aux États-Unis, où certains membres de la diaspora hindoue ont organisé des événements dans des temples locaux et de grands rassemblements en voiture pour célébrer le temple de Ram à Ayodhya.

Le temple déclenche un boom économique à Ayodhya

Outre son attrait spirituel et politique, la construction du temple de Ram est présentée comme un projet qui apportera des avantages significatifs à l’économie d’Ayodhya. Au-delà de la construction du vaste complexe du temple, la ville a obtenu un financement important pour des initiatives de développement, se positionnant comme un centre de croissance régional qui devrait accueillir des centaines de milliers de pèlerins et de touristes chaque année. 

Le « relooking » économique d’Ayodhya, qui coûtera environ 13,7 milliards de dollars canadiens (85 000 crore roupies indiennes) sur une période de dix ans, comprend des routes modernes, un nouvel aéroport international et une gare ferroviaire rénovée offrant une meilleure connectivité. Le projet a même stimulé l’activité des marchés financiers, faisant grimper en flèche les actions des compagnies ferroviaires, hôtelières et aériennes indiennes. On estime que les prix de l’immobilier dans la ville ont été multipliés par cinq à dix par rapport aux taux en vigueur il y a environ cinq ans.

Toutefois, les répercussions économiques de la construction du temple de Ram ne sont pas toutes positives. Les médias signalent, par exemple, que certains dirigeants locaux du BJP, qui entretiendraient des relations étroites avec les industries qui affluent aujourd’hui à Ayodhya, ont profité de transactions foncières, ce qui soulève des questions quant à d’éventuels conflits d’intérêts. 

Implications pour les élections nationales de 2024

Le temple ne devrait pas être achevé avant 2027, mais la décision de l’inaugurer quelques mois avant que les électeurs indiens n’élisent un nouveau gouvernement semble s’aligner sur la stratégie électorale du BJP, qui consiste à mobiliser sa base de soutien principale au sein de la population hindoue. Parallèlement, le gouvernement Modi a également vanté son engagement en faveur d’une transformation économique majeure, annonçant un effort considérable en matière d’infrastructures. 

Le parti d’opposition, le Parti du Congrès, n’a pas assisté à la cérémonie d’inauguration et a critiqué le parti au pouvoir pour avoir sapé les fondements laïques de l’Inde, intensifiant ainsi le débat politique sur le rôle de la religion dans la politique indienne. Néanmoins, plusieurs facteurs placent le BJP en position de force pour remporter un troisième mandat consécutif au pouvoir. Parmi ces éléments figurent la popularité personnelle de Modi et la récente croissance de l’Inde, qui est devenue la cinquième économie mondiale, ainsi que l’attrait traditionnel du parti en tant que défenseur du nationalisme hindou.

Suvolaxmi Dutta Choudhury

Suvolaxmi Dutta Choudhury est gestionnaire de programme pour l’Asie du Sud au sein de la FAP Canada. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique internationale de la Jawaharlal Nehru University (Inde). Ses recherches portent sur les droits de citoyenneté, la migration, le nationalisme, les conflits ethniques et la gouvernance démocratique en Inde.

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Suyesha Dutta

Suyesha Dutta est chercheuse-boursière au sein de l'équipe Asie du Sud de la Fondation Asie Pacifique. Elle a obtenu une maîtrise en Études modernes de l'Asie du Sud à l'Université d'Oxford et une licence à l'Université de Colombie britannique, avec une double spécialisation en Histoire et en Études européennes modernes. Ses recherches portent sur la violence étatique et la mobilisation politique dans l'Inde postcoloniale.

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