En quoi l’Afrique est-elle importante dans la stratégie pour l’Indo-Pacifique de la Corée du Sud

South Korea Africa Summit
Photo: Korea.net

L’importance croissante de l’Afrique sur la scène internationale a intensifié la compétition entre les puissances mondiales qui cherchent à approfondir leurs partenariats stratégiques avec le continent. Par l’intermédiaire du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), la Chine souhaite solidifier son leadership au sein de l’hémisphère Sud en renforçant les liens avec l’Afrique, la considérant à la fois comme un marché stratégiquement précieux et un partenaire géopolitique. De plus, d’autres puissances émergentes courtisent l’Afrique par l’entremise de plateformes telles que le Sommet Inde-Afrique, le Sommet Afrique-Italie, le Sommet Saoudo africain et le Sommet Partenariat Turquie-Afrique, toutes en compétition pour renforcer leur position dans l’hémisphère Sud.

De la même façon, au cours des deux dernières années, la Corée du Sud, consciente de cette dynamique et du potentiel du continent, a considérablement élevé le rôle de l’Afrique dans sa stratégie indo-pacifique (SIP) et l’a intégrée dans ses priorités en matière de politiques étrangères. Avec une population globale de 1,4 milliard et un PIB global de 4,6 billions $ CA, les 54 pays d’Afrique constituent un vaste marché émergent au potentiel important. Le taux de croissance moyen du PIB du continent de 3,1 % dépasse la moyenne globale de 2,9 %, avec une marge de progression significative. Cette croissance est soutenue par les données démographiques favorables du continent – 70 % de la population de l’Afrique subsaharienne est âgée de moins de 30 ans – ainsi que par ses riches ressources naturelles, notamment 30 % des minéraux critiques de la planète.

L’importance stratégique de l’Afrique pour la Corée du Sud est évidente pour de nombreux développements :

  • La Corée du Sud a reconnu l’Afrique comme un partenaire stratégique dans sa SIP de 2022. 

  • En juin 2024, Séoul a organisé son tout premier Sommet Corée-Afrique, où 48 des 54 pays d’Afrique se sont réunis dans la capitale sud-coréenne pour discuter d’enjeux allant de la coopération économique et du développement à la sécurité et la technologie. Dans une déclaration commune, les deux parties ont insisté sur le renforcement du commerce et de l’investissement.

  • L’aide officielle au développement de la Corée du Sud en Afrique devrait augmenter considérablement, passant de 628 millions $ CA en 2023 à 13,6 milliards $ CA d’ici 2030. Elle fournit également 19,1 milliards $ CA en financement à l’exportation pour les entreprises sud-coréennes en Afrique.

 

Ces développements démontrent le sérieux avec lequel la Corée du Sud perçoit ses relations avec l’Afrique, reconnaissant ce continent comme un lieu de possibilités et comme un partenaire clé dans son objectif de devenir un « État pivot mondial ». Les intérêts de la Corée du Sud comprennent notamment les occasions économiques et la sécurité des ressources, mais aussi les alliances diplomatiques, les partenariats technologiques et un engagement pour la stabilité maritime et le développement durable.

Protéger les voies de circulation vitales

L’Afrique est indispensable à la sécurité de la chaîne d’approvisionnement globale de la Corée du Sud, surtout en commerce maritime. Les eaux au large de la côte est d’Afrique, y compris la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien occidental, sont des artères de commerce vitales, particulièrement pour les importations énergétiques de la Corée du Sud. Les importations de pétrole brut de la Corée du Sud en provenance d’Algérie, d’Azerbaïdjan, de Libye et du Kazakhstan passent régulièrement par la route de la mer Rouge. De plus, l’itinéraire d’échange pétrolier le plus vital de la Corée du Sud, le détroit d’Hormuz – qui représente environ 80 % des importations de pétrole brut de Corée du Sud – est géographiquement et économiquement lié à ces eaux. De plus, en 2023, environ 80 % des exportations totales de la Corée du Sud vers l’UE et environ 50 % de ses importations de l’UE dépendaient des eaux au large de l’Afrique de l’Est.

Cependant, la région est un haut lieu de piraterie et de terrorisme, surtout dans le golfe d’Aden et au large de la côte somalienne. Même si les efforts internationaux ont permis de réduire le nombre d’attaques de pirates, la menace (ainsi que la menace potentielle pour les voies de circulation vitales) persiste.

La réponse de la Corée du Sud à ces menaces s’est avérée solide. Depuis 2009, la marine sud-coréenne déploie son Unité Cheonghae dans le golfe d’Aden, procédant à des opérations visant à protéger tant les navires sud-coréens que ceux de ses alliés dans le cadre de l’union des forces maritimes multinationales. Coopérer avec les pays côtiers d’Afrique de l’Est implique un soutien logistique crucial et un partage de renseignements.

Exploiter de nouveaux marchés pour la technologie et la formation

Reconnaissant les défis que représente la concurrence avec les géants de l’intelligence artificielle (IA) tels que OpenAI, la Corée du Sud a proposé des services sur mesure d’infrastructure d’IA aux pays aux capacités moins développées en la matière, y compris quelques pays d’Afrique. Cette approche répond non seulement aux besoins particuliers des marchés émergents, mais renforce également le rôle de la Corée du Sud en tant qu’acteur mondial clé dans l’innovation technologique.

Après le Sommet Corée-Afrique, le Forum mondial sur le leadership en matière de TIC, également organisé par la Corée du Sud, a servi de catalyseur à Séoul pour poursuivre activement la collaboration en matière d’IA avec les pays africains. Les principales initiatives comprennent des projets de développement menés par l’IA, notamment la collaboration avec le Nigéria pour la création d’un centre de formation aux TIC et à l’IA et la présentation de systèmes de purification de l’eau alimentés par l’IA aux pays pauvres en eau tels que Madagascar et le Kenya. Ces projets reflètent la mission de la Corée du Sud visant à fournir des solutions technologiques et mettent l’accent sur le renforcement des capacités et le transfert de technologie.

La synergie entre les forces technologiques de la Corée du Sud et le potentiel de marché de l’Afrique pourrait stimuler la croissance, au fur et à mesure que d’autres pays africains adoptent des solutions numériques. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en vigueur depuis 2021, rehausse ce potentiel en créant un marché unique pour les biens et les services, facilitant l’entrée et l’expansion des entreprises sud-coréennes en Afrique.

Mobilisation du soutien pour les objectifs en matière de politique étrangère

À l’approche du Sommet Corée-Afrique, le gouvernement sud-coréen a mis de l’avant l’influence diplomatique du continent africain dans des forums comme les Nations Unies, soulignant que ce dernier possède collectivement 54 voix, soit « plus que tout autre continent ». En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) pour le mandat 2024-2025, la Corée du Sud a intérêt à obtenir le soutien de ces pays, surtout les « A3 », soit les trois membres africains non permanents du CSNU.

Il est essentiel pour la Corée du Sud de renforcer les liens avec les pays africains afin d’obtenir du soutien quant aux résolutions du CSNU sur la péninsule coréenne. Cependant, plusieurs pays africains entretiennent des relations militaires et diplomatiques de longue date avec Pyongyang. Par exemple, certains ont été accusés d’importer des armes de la Corée du Nord et de travailler avec Pyongyang pour entretenir ses avions de chasse et ses systèmes de missiles et pour former des forces spéciales, malgré les sanctions des Nations Unies. Ainsi, malgré les progrès de Séoul dans l’approfondissement de ses relations avec les pays africains, le pays rencontre toujours des défis pour obtenir le soutien de l’Afrique pour les initiatives sud-coréennes dans les forums internationaux, surtout en ce qui a trait aux sanctions sur la Corée du Nord.

Élaborer une approche unique

L’engagement récent de la Corée du Sud avec l’Afrique marque une rupture par rapport à ses interactions d’auparavant, lesquelles se concentraient sur l’aide humanitaire ou sur les activités de maintien de la paix des Nations Unies. Elle cherche aussi à différencier son engagement en Afrique de celui d’autres grandes puissances, notamment la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et d’autres puissances occidentales. Pour beaucoup de dirigeants africains, les expériences de la Corée du Sud, y compris son passé colonial et son rétablissement d’après-guerre, présentent un modèle inspirant pour le développement économique et la modernisation, respectueux des préoccupations en matière de souveraineté des états africains. Cette approche positionne la Corée du Sud comme un partenaire attrayant pour de nombreux pays d’Afrique qui suivent leur propre voie de développement, ainsi que comme une option ou un complément à la Chine et aux États-Unis dans la région.

Qui plus est, l’engagement plus profond de la Corée du Sud avec l’hémisphère Sud ne se résume pas seulement à une forme de puissance douce; il s’agit aussi d’une approche stratégique pour collaborer plus étroitement avec les pays d’Afrique sur certains défis mondiaux communs, par exemple les changements climatiques, le pays se positionnant ainsi comme un partenaire de choix dans ces défis.

Toutefois, l’approche de la Corée du Sud visant à se rapprocher de l’Afrique n’est pas sans comporter son lot de défis. Parmi ceux-ci, notons un manque de clarté quant à ses objectifs et ses plans ainsi qu’un manque de précision sur ses engagements en matière d’investissement, surtout en ce qui concerne la création d’emplois et le transfert de technologies. Plus encore, une infrastructure inadéquate et des obstacles logistiques pourraient entraver la coopération économique et le transfert de technologies. Il sera également crucial d’harmoniser les cadres réglementaires et de garantir la durabilité grâce à des efforts conjoints dans le domaine des technologies écologiques afin d’assurer le succès de cette stratégie d’engagement.

Des réunions et des consultations régulières, notamment le Comité de coopération économique Corée-Afrique (KOAFEC), la réunion des ministres des Affaires étrangères Corée-Afrique de 2026 et les dialogues Corée-Afrique sur les minéraux critiques, seront essentielles pour suivre l’avancement des projets de collaboration et assurer leur mise en œuvre.

La pertinence pour le Canada

Le voyage d’août de la ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly en Côte-d’Ivoire et en Afrique du Sud a servi à signaler l’intention du Canada d’interagir plus activement avec l’Afrique, finalisant présentement une « approche » à l’endroit du continent. Alors que d’autres puissances mondiales font progresser leurs partenariats stratégiques, le Canada risque de prendre du retard s’il continue de s’appuyer principalement sur l’aide humanitaire comme principal outil d’engagement. Bien que les discussions de Mme Joly aient porté sur d’autres domaines, tels que la lutte contre le terrorisme et les partenariats économiques, qui s’appuyaient principalement sur l’aide humanitaire, il existe une nécessité croissante d’étendre ces efforts afin d’inclure une collaboration plus solide en matière de commerce, d’investissement et de technologie dans les secteurs où le Canada détient un avantage concurrentiel.

Un secteur sur lequel le Canada, la Corée du Sud et l’Afrique pourraient s’accorder est celui des minéraux critiques. L’Afrique abrite 30 % des ressources minérales critiques de la planète, qui suscitent également un grand intérêt auprès des sociétés minières canadiennes. La Corée du Sud, en tant que fabricant mondial de premier plan, recherche un accès fiable à ces ressources, tandis que le Canada, avec son expertise dans l’exploitation minière et ses normes environnementales rigoureuses, peut jouer un rôle crucial dans le développement de chaînes d’approvisionnement durables.

En s’associant aux pays africains, le Canada et la Corée du Sud peuvent assurer à l’Afrique l’accès à ses ressources naturelles grâce à des pratiques commerciales équitables et à des initiatives conjointes de renforcement des capacités. À l’aide d’un tel partenariat, le Canada peut renforcer sa position en Afrique, approfondir sa coopération avec la Corée du Sud et contribuer à une chaîne d’approvisionnement mondiale plus stable et plus équitable. En tirant parti de ses atouts uniques, tels que son bagage francophone, le Canada peut également renforcer ses relations avec les pays africains de la Francophonie et jouer un rôle important dans le paysage mondial émergent.

• Edité par Erin Williams, gestionnaire principale de programme, Compétences en Asie, et Vina Nadjibulla, vice-présidente recherche et stratégie, FAP Canada

Tae Yeon Eom

En tant que chercheur à la Fondation Asie-Pacifique du Canada, Tae Yeon Eom examine les problèmes socio-économiques et politiques sur et autour de la péninsule coréenne, explorant comment ces dynamiques influencent les politiques nationales, la sécurité régionale et les relations internationales. En intégrant ces perspectives, son travail vise à fournir une compréhension globale des défis et des opportunités en Asie de l'Est aux lecteurs canadiens et internationaux.

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