La réunion ministérielle de l’ANASE montre que le fossé interne s’approfondit sur les questions du Myanmar et de la mer de Chine méridionale

ASEAN Leaders July 2024

À retenir

La 57e réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), qui s’est tenue au Laos le 25 juillet, a montré que le groupe restait plus divisé que jamais sur la manière de répondre aux deux menaces les plus importantes pour la paix et la stabilité régionales : l’aggravation de la crise au Myanmar et la montée des tensions en mer de Chine méridionale.

Ce manque d’unité pourrait saper davantage la capacité du bloc à promouvoir la centralité de l’ANASE, soit la conviction que l’ANASE devrait être le principal espace pour aborder les questions régionales et interagir avec les puissances extérieures. Dans le contexte de la concurrence et de la rivalité croissantes entre les grandes puissances, une nouvelle érosion de la centralité de l’ANASE pourrait également ouvrir la porte à des acteurs extérieurs pour exercer une plus grande influence sur la région.

En bref

  • Du 24 au 27 juillet, l’ANASE a tenu une série de dialogues de haut niveau à Vientiane, au Laos, auxquels ont participé les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’ANASE ainsi que les partenaires de dialogue de l’ANASE : l’Australie, le Canada, la Chine, l’UE, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis. 

  • Les discussions sur la guerre civile au Myanmar, qui est membre de l’ANASE, se sont déroulées dans le contexte où son armée utilisait de plus en plus de force contre les civils. Depuis que la junte a renversé le gouvernement démocratiquement élu en 2021, l’ANASE s’est accrochée à un plan de consensus en cinq points qui appelle à une cessation immédiate de la violence et à des pourparlers de paix inclusifs. La junte a accepté ce plan, mais ne le met pourtant pas en application. Alors que l’Indonésie, la Malaisie et Singapour critiquent plus ouvertement l’armée du Myanmar, d’autres membres de l’ANASE, tels que le Cambodge, le Laos et le Vietnam, ont plaidé en faveur d’une approche « plus douce » du dialogue avec la junte.

  • Les membres de l’ANASE restent également divisés sur la manière de faire face à l’agression chinoise en mer de Chine méridionale, en particulier contre les Philippines et le Vietnam. Depuis plus de deux décennies, la Chine et l’ANASE travaillent à l’élaboration d’un code de conduite en mer de Chine méridionale, un ensemble de lignes directrices visant à réduire les tensions en définissant des règles et des responsabilités pour les États concernés. Alors que les Philippines et le Vietnam ont déclaré que le code de conduite devrait être juridiquement contraignant, les États non demandeurs de l’ANASE, tels que le Cambodge et le Laos, restent hésitants de peur de provoquer la Chine, compte tenu de son influence économique considérable. Les négociations visant à finaliser le code devraient se clôturer en 2026.

  • La Russie et la Chine, en plus d’avoir tenu une réunion trilatérale avec le Laos, se sont également rencontrées seules en marge des réunions de l’ANASE et promis de soutenir la centralité de l’ANASE et d’approfondir la coopération pour contrer l’ingérence d’acteurs extrarégionaux – une référence à peine voilée aux États-Unis. 
  • La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a assisté à la Conférence postministérielle ANASE-Canada le 26 juillet, réaffirmant le partenariat stratégique ANASE-Canada lancé en 2023, et a convenu à l’élaboration conjointe d’un plan d’action pour orienter le partenariat. La rencontre a été axée sur la crise au Myanmar, les affrontements dans les mers de Chine orientale et méridionale et les programmes illégaux de développement d’armes de la Corée du Nord. 

ASEAN Meeting July 2024
(De gauche à droite) Myanmar : Aung Kyaw Moe, secrétaire permanent aux Affaires étrangères du Myanmar; Enrique Manalo, secrétaire aux Affaires étrangères des Philippines; Vivian Balakrishnan, ministre des Affaires étrangères de Singapour; Maris Sangiampongsa, ministre des Affaires étrangères de Thaïlande; Do Hung Viet, vice-ministre des Affaires étrangères du Vietnam; Saleumxay Kommasith, ministre des Affaires étrangères du Laos; Mohamad Hasan, ministre des Affaires étrangères de Malaisie; Erywan Yusof, ministre des Affaires étrangères du Brunéi Darussalam; Sok Chenda Sophea, ministre des Affaires étrangères du Cambodge; Retno Marsudi, ministre des Affaires étrangères d’Indonésie; Bendito dos Santos Freitas, ministre des Affaires étrangères du Timor-Oriental; et Kao Kim Hourn, secrétaire général de l’ANASE, posent pour une photo de groupe lors de la 57e réunion plénière des ministres des Affaires étrangères de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à Vientiane, le 25 juillet 2024. | Photo : Sai Aung Main/AFP gracieuseté de Getty Images

 

 

 

Les conséquences

L’approche de l’ANASE à l’égard du Myanmar reste inepte alors que la crise s’aggrave. Le désaccord au sein de l’ANASE sur la manière d’aborder le conflit en évolution au Myanmar a affaibli le pouvoir de négociation du bloc et sa capacité à faire pression sur la junte. Cette inefficacité a été remarquée au Myanmar : la proportion de personnes interrogées dans le pays qui pensent que le plan de consensus en cinq points ne fonctionnera pas « avec l’intransigeance de l’armée » est passée de 16,5 % en 2023 à 41,8 % en 2024.

La division en mer de Chine méridionale pousse certains membres à chercher des assurances au-delà de l’ANASE. Les États membres de l’ANASE sont également divisés sur la manière de répondre à la pression croissante de la Chine sur ses revendications en mer de Chine méridionale contre quatre membres de l’ANASE : le Brunéi, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam. Lors de la récente Conférence postministérielle de l’ANASE avec la Chine, le Laos et le Cambodge ont notamment refusé d’inclure une référence dans le communiqué conjoint de la réunion condamnant la récente collision avec un navire de ravitaillement philippin.

La fragmentation au sein de l’ANASE pourrait affaiblir davantage son pouvoir de négociation, ce qui permettrait à la Chine de renforcer son influence au sein du bloc en sapant l’action collective et en négociant bilatéralement avec les États membres. En se divisant davantage, l’ANASE pourrait également rendre difficile la mise en œuvre d’une réponse unifiée de la part d’autres acteurs, comme le Canada, qui considèrent les actions de la Chine en mer de Chine méridionale comme une violation du droit international.

Prochaines étapes

1. Les acteurs extrarégionaux cherchent à renforcer leur présence dans l’ANASE. La décision de la Chine et de la Russie de renforcer leurs liens avec la région est considérée comme une stratégie d’affaiblissement de l’influence croissante de l’Occident en Asie du Sud-Est, qui est solidifiée par la désunion de l’ANASE. Les deux pays exercent également une influence considérable au Myanmar. Beijing a une influence économique et politique démesurée, et Moscou a des liens militaires étroits avec la junte. Leur intervention au Myanmar, qui penche vers le soutien à l’armée, pourrait aider à prolonger le contrôle militaire et à saper les forces de résistance en faveur de la démocratie.

En mer de Chine méridionale, la Chine et la Russie ont effectué des exercices navals conjoints, renforçant les liens militaires bilatéraux. Pour contrer les agressions de la Chine, les Philippines se sont tournées vers d’autres alliés et ont renforcé leurs liens militaires avec les États-Unis, l’Australie et le Canada.

2. La Malaisie dirigera le bloc en 2025. Lorsque la Malaisie assumera la présidence de l’ANASE en janvier, elle pourrait essayer de modifier l’approche de l’ANASE sur ces deux questions. Le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a exprimé son intention d’orienter le bloc vers un rôle plus unifié et plus affirmé dans la résolution des tensions régionales, y compris une approche plus proactive à l’égard du Myanmar qui inclurait un dialogue avec les parties prenantes pertinentes du pays, et pas seulement l’armée. Cependant, l’insistance de Kuala Lumpur sur la priorité accordée au rôle économique et aux relations commerciales de l’ANASE, ainsi que sur sa décision de se joindre au groupe des BRICS, pourrait l’inciter à conserver une approche indulgente à l’égard des revendications de Beijing en mer de Chine méridionale.

• Édition par Erin Williams, gestionnaire principale de programme, FAP Canada et Vina Nadjibulla, vice-présidente, Recherche et stratégie, FAP Canada.

Hema Nadarajah

Hema Nadarajah, Ph.D., est gestionnaire de programme, Asie du Sud-Est, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en relations internationales de la University of British Columbia, où elle a effectué des recherches sur la gouvernance dans l'Arctique, le changement climatique et l'espace extra-atmosphérique. Mme Nadarajah est conseillère auprès du WWF et a travaillé auparavant pour le gouvernement de Singapour sur des questions de conservation de la biodiversité internationale et de changement climatique.

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Alberto Iskandar

Alberto Iskandar est chercheur-boursier à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Il a obtenu son diplôme de grade de premier cycle à l’Université Simon Fraser, avec une spécialisation en sciences politiques et une mineure en études internationales, et a été diplômé en 2021. Ses recherches portent sur le multilatéralisme en Asie du Sud-Est et dans l’ANASE, le développement durable et les questions liées à la sécurité et à la défense en Asie du Sud-Est. Il a précédemment travaillé en tant que chercheur fonctionnaire à la Communauté de politique étrangère d’Indonésie (Foreign Policy Community of Indonesia).

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Sasha Lee

Sasha Lee est chercheuse post-universitaire au sein de l’équipe Asie du Sud-Est de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a obtenu une maîtrise en sciences politiques à l’University of British Columbia et un baccalauréat à la Korea University, avec une double spécialisation en sciences politiques et en communication avec les médias. Ses travaux portent notamment sur les technologies renouvelables et la gouvernance environnementale des pays en développement.

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Su Thet San

Su Thet San étudie une maîtrise en politique publique et affaires internationales à la University of British Columbia et bénéficie d’une bourse de l’Initiative Myanmar de l’UBC, qui travaille actuellement avec la Fondation Asie Pacifique du Canada. Titulaire d’un baccalauréat en journalisme de la University of Yangon, Su Thet San a précédemment travaillé pour une organisation non gouvernementale au Myanmar, se concentrant sur la démocratisation, la paix et les conflits, ainsi que sur l’harmonie sociale.

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