Les barrières non tarifaires dans les échanges commerciaux entre le Canada et l’Asie-Pacifique

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La circulation transfrontalière des biens et des services a connu une croissance rapide depuis que les économies ont commencé à ouvrir leurs marchés au commerce mondial lors de la dernière vague de mondialisation qui a débuté dans les années 1990. Cependant, lorsque les produits traversent les frontières, ils sont soumis à des barrières commerciales et réglementaires imposées par le pays importateur, notamment des droits de douane et des licences. Ces barrières augmentent les coûts et peuvent même restreindre l’importation de certains produits. Les producteurs canadiens de canola, par exemple, ont été confrontés à une interdiction de trois ans sur les exportations de canola vers la Chine après que les autorités chinoises ont retiré les licences d’importation des entreprises canadiennes en 2019. Au cours de la même année, les relations bilatérales entre le Canada et la Chine se sont détériorées avec l’arrestation de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, à Vancouver (en vertu d’un mandat d’extradition américain), ce qui a entravé la résolution des différends commerciaux. Les producteurs canadiens de canola ont perdu plus de 2 milliards $ CA au cours des deux premières années de ces restrictions à l’importation, en raison de la baisse des prix et des ventes non réalisées.

Comme l’illustre l’exemple du canola, les barrières non tarifaires (BNT) augmentent les coûts du commerce pour les entreprises canadiennes dans la région Asie-Pacifique. La Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) estime que les BNT ont perturbé environ 58 % du commerce de la région Asie-Pacifique. Selon le Centre du commerce international, un organisme multilatéral relevant des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce, les économies de l’Asie-Pacifique ont imposé environ 25 000 BNT, et leur utilisation annuelle de certaines barrières est passée de moins de 300 mesures en 2000 à plus de 1 000 en 2020 (Figure 1).

Pour le Canada, la réduction, l’élimination ou l’harmonisation des BNT (ou la similitude des BNT entre les pays) est une dimension importante de l’expansion du commerce avec la région, en particulier à la lumière de la Stratégie pour l’Indo-Pacifique 2022 du Canada, qui identifie la résilience du commerce et de la chaîne d’approvisionnement comme l’un de ses principaux objectifs stratégiques. Les accords de libre-échange (ALE) actuels et futurs du Canada dans la région sont l’occasion de s’attaquer à ces obstacles. Pour tirer profit des ALE, les responsables politiques doivent tenir compte des éléments suivants : Quelle est l’efficacité des ALE existants du Canada, tels que l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord de libre-échange Canada-Corée (ALECC), en matière d’obstacles non tarifaires ? Et comment les BNT peuvent-elles être abordées dans les négociations en cours sur les ALE avec l’Indonésie et les dix membres de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) ? 

Barrières non tarifaires au commerce entre le Canada et l’Asie

Les BNT prennent de nombreuses formes. Il s’agit de barrières réglementaires, telles que les procédures administratives ou les quotas, d’obstacles techniques au commerce (OTC), telles que les exigences légales, et de mesures sanitaires et phytosanitaires (c’est-à-dire liées à la sécurité des plantes) (SPS).  Environ la moitié des BNT imposées par les économies de la région Asie-Pacifique au cours des deux dernières décennies sont des obstacles techniques.

Ces BNT sont souvent imposées en raison de préoccupations légitimes pour le bien-être humain et l’environnement, comme les restrictions sur les organismes génétiquement modifiés dans certains pays. Les exigences en matière d’étiquetage et de certification mises en œuvre pour démontrer que les produits importés sont conformes aux réglementations relatives au bien-être humain et à l’environnement en vigueur dans les pays importateurs sont d’autres exemples de BNT. Même si elles sont bien intentionnées, ces exigences peuvent également fausser les échanges en les rendant plus coûteux et plus difficiles, en particulier pour les exportateurs qui cherchent à pénétrer de nouveaux marchés et pour les importateurs qui doivent payer des prix plus élevés pour les marchandises. Selon certaines estimations, les BNT coûtent deux à trois fois plus cher que les barrières commerciales formelles, étant donné qu’elles augmentent les coûts de production et de mise en conformité. Une étude de la CESAP a montré que les réglementations relatives aux BNT varient dans la région Asie-Pacifique, augmentant les coûts commerciaux d’environ 8,2 % pour les mesures techniques et de 7,1 % pour les mesures non techniques.

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Design graphique : Chloe Fenemore

Les BNT dans les accords de libre-échange en Asie

Les ALE bilatéraux et multilatéraux conclus dans la région Asie-Pacifique visent à réduire les droits de douane et les BNT. Les premiers efforts visant à limiter et à normaliser les mesures relatives aux BNT ont commencé avec l’Accord commercial Asie-Pacifique (anciennement l’accord de Bangkok), signé en 1975. Cet accord entre le Bangladesh, la Chine, l’Inde, le Laos, la Mongolie[1], la République de Corée et le Sri Lanka a été le premier ALE en Asie à contenir des dispositions visant à réduire et à harmoniser les BNT. Il a été renforcé par l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce en 1994 (accord de l’OMC), qui a marqué la première tentative multilatérale de réglementer les BNT en incorporant l’accord sur les obstacles techniques au commerce (accord OTC) et l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (accord SPS) dans les annexes de l’accord de l’OMC. Si, depuis la signature de l’accord de l’OMC en 1994, de plus en plus d’accords commerciaux en Asie ont tenté d’harmoniser les réglementations et d’atténuer l’effet des BNT (Figure 2), ces dernières restent un obstacle au commerce et sont abordées dans plusieurs accords commerciaux, y compris le PTPGP.

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Design graphique : Chloe Fenemore

En 2018, le PTPGP a établi une nouvelle norme concernant la manière dont les accords de libre-échange de la région Asie-Pacifique abordent les BNT : il s’agit d’une référence mondiale pour la limitation des BNT. Le PTPGP se distingue des autres accords commerciaux en ce qu’il établit des définitions claires et des règles applicables pour les BNT au-delà de ce qui est énoncé dans l’accord de l’OMC. Il comprend des chapitres sur les obstacles techniques, sanitaires et phytosanitaires liés à l’autorisation de mise sur le marché (c’est-à-dire l’autorisation de commercialiser et de vendre des produits qui respectent les exigences de santé et de sécurité d’un pays donné), les exigences relatives à l'étiquetage (par exemple, les exigences concernant la langue et l’étiquetage nutritionnel) et les exigences de certification (par exemple, les exigences concernant les tests de produits ou la certification de l’origine). Dans le cadre de la PTPGP, 57 % des dispositions relatives aux barrières sanitaires/phytosanitaires et 66 % des dispositions relatives aux barrières techniques sont juridiquement applicables avec les chapitres sur les BNT qui harmonisent les mesures, réduisant ainsi le coût de la mise en conformité et, par conséquent, le coût des marchandises.

Les tentatives du Canada pour réduire les BNT dans la région sont antérieures au PTPGP. L’ALE Canada-Corée du Sud (ALECC), signé en 2014, a été le premier accord signé par le Canada dans la région pour réglementer les BNT. L’ALECC reprend les principaux engagements de l’accord de l’OMC, mais va plus loin car il prévoit des règles claires et applicables. L’ALECC favorise l’utilisation de normes internationalement reconnues lorsque cela est possible (par exemple, la normalisation des produits forestiers), encourage la transparence réglementaire et comprend un mécanisme de règlement des différends. L’accord permet toujours aux parties d’adopter les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité, tout en veillant à ce que ces mesures n’interfèrent pas de manière significative avec le commerce.

Leçons tirées de la région

Le Canada n’est pas étranger aux réglementations sur les BNT, comme en témoignent l’ALECC et le PTPGP. Néanmoins, Ottawa peut encore apprendre des expériences de ses partenaires commerciaux en Asie-Pacifique. Par exemple, en 2017, l’Australie a publié un livre blanc sur la politique étrangère (Foreign Policy White Paper) qui identifiait les BNT comme l’un des principaux problèmes rencontrés par les entreprises australiennes. Depuis, elle a pris des mesures importantes pour supprimer ces barrières. En décembre 2018, Canberra a publié un plan d’action visant à réduire les restrictions commerciales injustifiables. Ce plan présente une approche en trois volets : améliorer l’accès en permettant aux entreprises australiennes de signaler et de surmonter plus facilement les BNT ; renforcer la collaboration entre le gouvernement et les entreprises afin d’identifier rapidement les problèmes et de les résoudre ; et améliorer la transparence pour que les responsabilités, les processus et les attentes soient explicitement définis et facilement compréhensibles. Le gouvernement australien a promis des mesures concrètes pour atteindre chacun des objectifs définis dans le plan. Par exemple, il a créé un nouveau portail en ligne permettant aux entreprises de signaler rapidement et facilement leurs préoccupations liées aux barrières commerciales. Jusqu’à présent, le plan a été largement bien accueilli par certains secteurs, comme le secteur agricole.

Les économies de l’ANASE offrent également un aperçu des meilleures pratiques en matière de réduction des BNT. La réduction des BNT est depuis longtemps une priorité pour ces économies. L’accord de 2009 sur le commerce des marchandises de l’ANASE (ASEAN Trade in Goods Agreement) consacre un chapitre entier aux mesures non tarifaires entre les économies membres de l’ANASE. Depuis lors, la Communauté économique de l’ANASE (AEC) s’est engagée à réduire davantage les coûts associés aux BNT par le biais du plan directeur de l’AEC 2025. Ce plan donne la priorité à un grand nombre d’éléments identiques à ceux du plan d’action australien, à savoir l’élimination des BNT avec l’aide du secteur privé. Contrairement à la stratégie australienne, qui se concentre sur les BNT ayant un impact sur les exportations australiennes, le plan directeur de l’ANASE pour l’AEC souligne l’importance de l’harmonisation des normes dans l’AEC et vise à éliminer toutes les BNT entre les économies de l’ANASE.

Accords en cours de négociation

Ottawa est en train de négocier deux accords commerciaux avec des économies de l’Asie-Pacifique : l’ALE Canada-ANASE et un Accord de partenariat économique global Canada-Indonésie (APEG Canada-Indonésie), qui viseront tous deux à minimiser et/ou à harmoniser les BNT. Bien que l’Accord de partenariat économique global Canada-Inde (APEG Canada-Inde) soit actuellement en pause, les discussions sur les BNT auraient été un élément important de l’APEG.

Un ALE avec l’ANASE aidera les exportateurs canadiens à se frayer un chemin sur un marché local de plus en plus protégé. L’ANASE a connu une augmentation de 60 % des BNT entre 2015 et 2021, principalement dans les domaines technique, sanitaire et phytosanitaire. Par exemple, le secteur automobile dans de nombreuses économies membres de l’ANASE a tendance à être soumis à des quotas et à des licences, à des procédures complexes d’évaluation de la conformité, à des normes nationales, à des régimes fiscaux élevés et à des politiques discriminatoires favorisant les fabricants locaux. Ces types d’obstacles peuvent être résolus lors des négociations de l’ALE entre le Canada et l’ANASE si l’on harmonise les réglementations et les normes et si l’on reconnaît les procédures d’évaluation.

De même, un accord commercial avec l'Inde, si les négociations reprennent, peut contribuer à résoudre des problèmes commerciaux de longue date liés aux BNT. Depuis 2018, l’Inde a imposé des restrictions quantitatives sur l’importation de pois dans le but d’accroître son autosuffisance et de soutenir les agriculteurs indiens. Il s’agit de préoccupations légitimes et d’éléments essentiels de la sécurité alimentaire de l'Inde, mais ces mesures restrictives ont également un impact négatif sur l’industrie canadienne des légumineuses, l’Inde étant la quatrième destination des légumineuses canadiennes. Même si l’Inde a temporairement abrogé la restriction en septembre 2021, le Canada cherche à obtenir une plus grande prévisibilité et un engagement à plus long terme pour les légumineuses dans le cadre de l’accord commercial des premiers progrès Canada-Inde.

Par ailleurs, l’APEG Canada-Indonésie peut contribuer à l’élimination des BNT qui ont entravé les exportations canadiennes dans divers secteurs d’activité. Par exemple, en 2020, l’Indonésie a promulgué une interdiction d’importation sur le sucre afin de protéger le marché intérieur et d’augmenter la production nationale, le sucre étant considéré comme une industrie sensible en Indonésie. Parallèlement, il est possible que certaines BNT ne puissent pas être facilement harmonisées et il faudra que les exportateurs se conforment à certaines mesures réglementaires. Par exemple, la nouvelle certification halal proposée par Jakarta pour la plupart des produits alimentaires et des boissons, qui entrera en vigueur en octobre 2024, obligera les exportateurs canadiens à s’adapter pour respecter les nouvelles réglementations. Pour soutenir ces exportateurs, Ottawa doit fournir aux négociants canadiens les lignes directrices et le soutien dont ils ont besoin pour obtenir la certification.

Conclusion

Les restrictions commerciales, sous la forme de BNT, augmentent les coûts du commerce et entraînent des frictions commerciales entre les pays, ce qui rend impératif la signature d’accords commerciaux qui tiennent compte des BNT. La porte commerciale du Canada, un mécanisme de promotion du commerce et de l’investissement mis en place dans le cadre de la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, encourage les entreprises canadiennes à accroître leur présence en Asie du Sud-Est.

Pour aider ces entreprises à tirer parti des opportunités commerciales de la région, le gouvernement canadien devrait continuer à fournir des outils et des ressources pour aider les entreprises à comprendre les obstacles régionaux au commerce et à mettre en place une infrastructure commerciale sous la forme d’accords commerciaux pour atténuer les barrières tarifaires et non tarifaires à l’entrée.

 

[1] L’adhésion de la Mongolie à l’Accord commercial Asie-Pacifique a été acceptée en septembre 2020.

Anastasia Ufimtseva

Anastasia Ufimtseva est gestionnaire de programme, Commerce avec l'Asie, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle est titulaire d'un doctorat en Gouvernance mondiale de la Balsillie School of International Affairs (École des affaires internationales) de la Wilfrid Laurier University, avec spécialisation en économie politique internationale. Sa thèse portait sur les investissements directs étrangers (IDE) chinois dans les secteurs du pétrole et du gaz naturel au Canada et en Russie. Elle a publié de nombreux articles sur les relations commerciales et d'investissement entre l'Asie et le Canada, en particulier sur les IDE, la gouvernance et la politique énergétique. Avant d'intégrer la FAP Canada, Anastasia a travaillé comme chercheuse post-doctorale au Centre Jack Austin d'études commerciales de l'Asie-Pacifique (Jack Austin Centre for Asia Pacific Business Studies) à l'École de commerce Beedie de l'Université Simon Fraser (Simon Fraser University's Beedie School of Business).

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Charlotte Atkins

Charlotte Atkins est une ancienne spécialiste de projets au sein de l'équipe Commerce international et investissements de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Elle a une maîtrise en Sciences politiques et en Études asiatiques de l'University of Toronto, où ses recherches ont porté sur les politiques litigieuses en Asie. Elle a depuis élargi ses domaines de recherche pour inclure la politique, le commerce et l'investissement entre le Canada et l'Asie-Pacifique dans le cadre de son travail à la FAP Canada.

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Pia Silvia Rozario est spécialiste de projet, Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat, Bureau central au Canada, à la FAP Canada. Elle est récemment diplômée d'une maîtrise en politiques publiques de l'University of Calgary.

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Rachael Gurney

Rachael Gurney est chercheuse-boursière à la Fondation Asie Pacifique du Canada, dans le cadre du pilier Commerce avec l'Asie. Elle a obtenu une licence avec distinction en Sciences politiques de l'University of British Columbia. Elle a précédemment travaillé au Centre de recherche sur le Japon de l'Institut de recherche asiatique (Institute of Asian Research’s Centre for Japanese Research).

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